Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il lui reste Richelieu, et savez-vous quel rôle il lui donne? Corneille aime la fille d’un magistrat normand, Marie de Lampérières (Marie, et non Emerance, comme l’appelle, je ne sais pourquoi, M. Gutzkow); Richelieu, ami d’enfance de ce magistrat, dispose absolument de la main de sa fille, et il donnera Marie à Corneille, si Corneille consent à déclarer que le Cid lui a été dicté par Richelieu. A moi le laurier, dit le grand ministre, et le myrte sera pour Corneille. La belle invention que voilà! L’ingénieux commentaire des rapports de Corneille et de Richelieu! Après cette seconde épreuve, il ne faut pas prier M. Gutzkow d’étudier plus attentivement l’histoire littéraire de la France, il faut la lui interdire à jamais. Il est évident qu’il a pris la mesure de son Richelieu sur quelque ministre des petites cours allemandes du XVIIIe siècle. Je crois tout à fait inutile de relever les autres erreurs de M. Gutzkow; celle-là suffit pour faire juger son œuvre. C’est en 1640, après Horace et Cinna, que Corneille a épousé Marie de Lampérières; M. Gutzkow veut que ce soit en 1630, après le succès du Cid: insignifiante peccadille chez le hardi peintre de la politique de Richelieu.

Dois-je raconter une telle comédie? L’intrigue est aussi ennuyeuse que la donnée première est impertinente. N’insistons pas sur les méprises d’un homme qui a eu quelquefois des inspirations élevées; engageons-le à se défier de l’infatuation, à mépriser les hommages intéressés des coteries, à ne pas prendre au sérieux les réclames des libraires. Il y a autour du nom de M. Charles Gutzkow un crescendo de louanges fabuleuses, et il arrive souvent que M. Gutzkow, transporté d’aise, se met à jouer sa partie dans ce concert. Ce spectacle est triste. Si une voix libre et franche, celle de M. Julien Schmidt par exemple, s’élève pour avertir M. Gutzkow, M. Gutzkow s’écrie qu’il est victime des envieux. Nous-même, qui jugeons ces choses à distance, qui appartenons avant tout à la littérature de notre pays, qui sommes étranger à toutes les coteries de l’Allemagne, qui n’avons aucun mérite à en parler sans passion, M. Gutzkow nous accuse d’être l’écho de ses ennemis. Les ennemis de M. Gutzkow, ce sont les écrivains qui l’encensent; ses amis sont ceux qui lui disent : Donnez un but sérieux à l’activité de votre esprit, mettez votre ardeur au service d’une idée poétique, rappelez-vous les productions de vos meilleurs jours, et relisez votre drame d’Uriel Acosta.

Pour compléter ce tableau de la littérature dramatique au-delà du Rhin, je devrais signaler aussi les comédies et les drames qui n’ont pas subi l’épreuve de la scène. Ordinairement, quand une pièce est jouée sur un théâtre d’Allemagne, on ne peut la lire imprimée que deux ou trois ans après la représentation; c’est ce qui est arrivé pour Narcisse et le Gladiateur de Ravenne. Si au contraire elle a été refusée, le poète s’empresse de la soumettre au jugement du public.