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Allemands dans le Gladiateur de Ravenne, c’est bien une action vive, pressante, dramatique, unie à une belle inspiration morale. L’intérêt de l’action, l’élévation de la pensée, voilà ce que l’Allemagne demande aux poètes qui veulent relever le théâtre.

Si j’examine les autres ouvrages représentés depuis deux ans sur les différentes scènes de l’Allemagne, le sort qu’ils ont obtenu confirme pour moi ces symptômes du goût public. M. Edouard Tempeltey a fait représenter à Berlin et à Vienne une tragédie intitulée Clytemnestre, qui contient des parties très poétiquement traitées. La Clytemnestre de M. Tempeltey est une étude d’après Eschyle, comme l’Iphigénie de Goethe (toute proportion gardée) est une étude d’après Euripide. L’Iphigénie de Goethe, on le sait, ne se recommande pas par l’intérêt de l’action; mais, en revanche quelle sublimité de pensée! quelle merveille de poésie! Si une telle œuvre ne pouvait guère réussir à la scène, il n’en est pas en Allemagne qui soit restée plus chère à la critique et aux historiens de l’art. On écrit des commentaires, on fait des leçons publiques sur Iphigénie, comme on en fait sur Faust et la Divine Comédie. Antique par la simplicité du plan et la pureté des lignes, l’œuvre de Goethe est toute moderne, tout allemande même, par la conception morale. La prêtresse antique et la madone chrétienne sont merveilleusement unies dans cette chaste figure qui accomplit si bien son œuvre de réconciliation, et efface pour toujours la vieille malédiction barbare qui pesait sur sa race. Sans ces inspirations supérieures, l’œuvre de Goethe ne serait qu’une belle et froide statue. M. Tempeltey n’a pas renouvelé son sujet par des méditations si hautes; il s’est attaché surtout à l’action, mais en cherchant à réveiller l’intérêt il a trop altéré le caractère antique de ses personnages. Clytemnestre est visiblement une femme de la société moderne; la manière dont elle est entraînée au meurtre par l’adultère, l’abandon d’Egisthe, qui est pour elle la punition immédiate de son crime, tout cela rappelle le drame tel que l’a conçu notre époque. « Jamais, dit Eschyle dans les Grenouilles d’Aristophane, jamais je n’ai peint de femme impudique.» La Clytemnestre de M. Tempeltey, c’est, sous un masque antique, la peinture très étudiée de l’adultère, des causes qui l’amènent, des excuses dont il se couvre, des crimes auxquels il est poussé et de l’inévitable châtiment qui l’attend. Entre ces deux inspirations si différentes, entre l’étude du génie antique et la peinture des passions modernes, l’esprit du spectateur hésite; il cherche en vain cette harmonie que Racine avec des sentimens si français, Goethe avec des idées si allemandes, ont imprimée à leurs imitations de la tragédie grecque. Défectueuse dans l’ensemble, la pièce de M. Tempeltey renferme des scènes hardiment conçues et exécutées avec talent. Lorsque Clytemnestre, répondant aux reproches de sa conscience.