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sa tête son manteau de pourpre, et reste là, immobile, le visage enveloppé. Sa main droite, qui retombe à son côté, tient toujours le glaive sanglant; on devine que son œuvre n’est pas finie. Tout à coup Glabrion arrive : « Debout, ami! voici l’heure, César approche; vite, mets ton casque, prends ton épée... Quoi ! qu’est-ce que cela?... Du sang!... Il est mort, mort! mon beau gladiateur!... » A ses cris, gardes, esclaves, gladiateurs, accourent de toutes parts, et la mère est toujours là, au pied du lit de son fils, la tête voilée, la main armée du glaive. Place au cortège de César! Voici Caligula qui vient chercher la veuve et le fils d’Armin. Quand il voit Thumélicus mort et tous ses plans déjoués, sa fureur est sans bornes. « Qui l’a frappé? qui l’a tué? — Moi! dit Thusnelda. — Toi! Thusnelda! tu as tué ton propre fils! Et pourquoi? — Pourquoi? tu ne le sais pas? Eh bien! je vais te le dire. Tu voulais déshonorer l’Allemagne dans la race d’Armin; je devais jouer le rôle de la Germanie et assister à la mort de mon fils. Ce rôle, je ne l’ai pas joué, j’ai été la Germanie elle-même. Je n’ai pas permis qu’il outrageât son père, sa mère, sa patrie; comme une prêtresse, je l’ai sacrifié de mes mains. Si j’eusse été un homme, j’aurais pu agir autrement. Je suis une femme et je porte des chaînes, voilà pourquoi j’ai tué mon fils. » César éclate en cris de fureur et en menaces, mais Thusnelda lui répond par des menaces plus terribles encore. L’exaltation de son âme se traduit par un prophétique délire : elle conjure tous les dieux, ceux du ciel et ceux de l’enfer; elle évoque l’avenir, elle interpelle les Germains du nord et du midi, elle les rassemble au souffle de sa parole et les pousse contre Rome. Malédiction sur cette Rome qui a forcé une mère de tuer son fils! Pendant des centaines et des milliers d’années, les Germains se vengeront. Les murailles s’écroulent, les palais tombent en cendres; partout le fer et la flamme! Rouge est le ciel, rouges sont les flots du Tibre. — C’est un magnifique développement du cri de Byron dans Childe-Harold : « Levez-vous, peuples du Nord! venez assouvir votre juste fureur! » Et quand César, épouvanté, ordonne à ses gardes de la saisir, d’un coup du glaive d’Armin elle affranchit son âme, qui s’envole, libre et pure, vers l’éternelle patrie.

Le drame devait se terminer ici. Après le sacrifice du gladiateur, après les imprécations et la mort de la sacrificatrice, que nous importe ce que devient Caligula? La lutte est entre la Germanie et Rome, Caligula n’est rien. Que César s’abandonne à sa rage; qu’il s’écrie : « Je veux ma fête! » que, pour remplacer Thumélicus, il envoie chercher des chrétiens et les fasse jeter à ses lions; que Chéréa et Sabinus, effrayés de cette soif de sang, décident qu’il est temps de se débarrasser du tigre; enfin que la conspiration soit fixée