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la littérature dramatique compta un écrivain de plus, le théâtre proprement dit resta ce qu’il était. Une école nouvelle, la Jeune-Allemagne, ayant fait son avènement vers cette époque, s’empressa naturellement de fournir à son pays ce poète du présent qu’on cherchait de tous côtés. M. Mosen n’avait pas réussi, M. Gutzkow tenta l’aventure. M. Gutzkow possède plusieurs des qualités qui font le poète dramatique; il a surtout de la verve, de l’audace, et il ne craint pas de livrer bataille au public. Ce qui lui manque, c’est le sentiment de ce qui intéresse l’humanité, l’étude sérieuse des passions et l’art de les reproduire avec force. L’auteur d’Ella Rose et d’Une Feuille blanche recherche les singularités psychologiques, et néglige les grandes affections de l’âme humaine. Ces situations bizarres, ces sentimens d’exception qui peuvent fournir au roman des analyses curieuses sont parfaitement déplacés au théâtre. Quand M. Gutzkow a su être simple, dans son drame d’Uriel Acosta par exemple, le succès ne lui a pas fait défaut. Malheureusement ces bonnes fortunes de l’inspiration ne se sont pas souvent renouvelées chez lui, la recherche de la bizarrerie a pris le dessus, et malgré son activité, malgré son ardeur à réveiller la foule, malgré tous les efforts qu’il a faits pour remplir de son nom et de ses œuvres tous les théâtres de son pays, M. Gutzkow n’excite plus aujourd’hui qu’une attention indifférente.

Décidément le poète du présent ne se révélait pas, on espéra le remplacer par le poète de l’avenir. Des critiques enthousiastes, M. Roetscher, M. Vischer, construisaient a priori la poétique de ce drame futur, que Schiller lui-même, disait-on, n’avait pas soupçonné. Aussitôt les poètes de l’avenir foisonnèrent dans la littérature allemande. Ce fut d’abord une femme. Mme Elise Schmidt, auteur d’un mystère philosophique dont les extravagances étaient rachetées, à ce qu’il paraît, par des intentions où M. Roetscher reconnaissait l’influence de ses théories. Ce fut ensuite M. Griepenkerl, qui transfigurait dans ses poèmes dramatiques l’histoire de la révolution, et qui, sans attendre la consécration de M. Roetscher ou de quelque autre, se décernait à lui-même le titre de poète de l’avenir, promettant de faire ce que n’avaient fait ni Shakspeare, ni Corneille, ni Goethe, ni Schiller lui-même. Ce fut surtout M. Frédéric Hebbel, vrai poète, imagination puissante, mais absolument dépourvu de ce sentiment de la réalité sans lequel le théâtre est impossible. Une des choses qui caractérisent ces prétendus poètes de l’avenir, c’est leur dédain pour les conditions de la scène. Alors même que M. Hebbel produisait ses œuvres sur le théâtre, et il l’a fait souvent avec une singulière audace, il ne dissimulait pas son mépris des convenances scéniques. Je ne sais quand viendra la génération pour la-