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des Goethe et des Schiller trouveraient de glorieuses palmes à cueillir; mais il faut que notre tragédie historique soit nationale, et nationale pour l’Allemagne tout entière... Il faut aussi qu’elle soit historique avec vérité, qu’elle soit tirée des profondeurs de la science, et qu’en dissipant l’épaisse vapeur de nos pensées habituelles, elle nous fasse respirer l’air salubre de l’antiquité. Et quels magnifiques tableaux n’offre pas notre histoire! Dans un immense éloignement, les guerres avec les Romains, puis la fondation de notre empire, puis le siècle brillant et chevaleresque des Hohenstaufen, puis les règnes d’une importance politique plus générale sous la dynastie des Habsbourg! Que de héros! que de grands souverains! quel champ pour un poète qui saurait, comme Shakspeare, saisir le côté poétique des événemens, et unirait les vives couleurs, la touche nette et solide que donne l’étude de la réalité, avec les pensées universelles et le généreux enthousiasme qu’inspirent les augustes intérêts du genre humain! » Le programme était trop beau, on l’oublia bien vite. Ces augustes intérêts du genre humain, ces vivantes couleurs de la réalité furent précisément ce qui préoccupa le moins les romantiques. Esprits ingénieux, fantasques, amis des mystiques subtilités, au lieu de labourer ce fertile terrain de l’histoire, ils allaient errer au clair de lune dans les vagues domaines de la légende. Ils eurent pourtant des poètes habiles : Zacharias Werner, Louis Tieck, Henri de Kleist, ne sont pas des écrivains à dédaigner. Ce dernier surtout, l’auteur du Prince de Hombourg et de Catherine de Heilbronn, a eu des éclairs de génie; pourquoi faut-il qu’avec une inspiration si mâle il n’ait jamais connu la sérénité? Il y a chez lui un certain tour d’imagination qui tient de près au délire; le plus vigoureux des poètes romantiques se présente à nous, dans sa vie et dans ses œuvres, comme une douloureuse énigme. De tels hommes n’étaient pas nés, on le comprend, pour constituer la scène allemande. Guillaume Schlegel appelait une poésie dramatique qui pût enthousiasmer l’Allemagne entière; ses disciples en étaient venus à ne plus écrire que pour les raffinés et les rêveurs.

On vit alors une troisième tentative. Un généreux poète, Charles Immermann, voulut absolument ramener la poésie dramatique au sentiment de la réalité. La tâche n’était pas facile. Pendant que les écrivains suivaient leur fantaisie et méconnaissaient toutes les conditions de la scène, les directeurs, les intendans de théâtres, qui avaient besoin de chefs-d’œuvre plus intelligibles, s’adressaient aux fournisseurs ordinaires du public. Kotzebue, Raupach, écrivains sans art, poètes sans poésie, mais constructeurs assez habiles de drames et de comédies, inondaient l’Allemagne de leurs insipides productions. Peu à peu les esprits cultivés renoncèrent à suivre le