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original des travaux dramatiques de l’Allemagne, la période du drame était finie, car le Faust était conçu en dehors des lois du théâtre, et ne pouvait devenir un modèle. En cherchant la poésie dramatique, l’Allemagne avait rencontré toute autre chose. Il fallait donc s’y résigner : la littérature dramatique ne s’implanterait jamais en Allemagne. C’était, je crois, l’opinion secrète de Goethe, c’était celle d’un grand nombre d’esprits d’élite. Déjà Lessing avait porté un jugement semblable par des motifs tout différens. On sait la plainte amère qui lui échappe dans la Dramaturgie de Hambourg; il termine par un cri de découragement un livre où il s’est efforcé de réveiller chez ses compatriotes le sens de la poésie dramatique. — Oh ! la folle entreprise ! ce sont à peu près ses paroles. Vouloir donner aux Allemands un théâtre national quand les Allemands ne sont pas une nation! — Ainsi, d’un côté, l’absence d’unité politique, l’absence d’un grand centre où le caractère national aurait pu se faire jour; de l’autre, l’expérience d’un poète comme l’auteur d’Egmont, l’exemple d’un maître qui, malgré tous les dons du génie, n’avait réussi en fin de compte qu’à transporter le drame dans le domaine des abstractions idéales, tout cela montrait que le génie allemand, si riche d’inspirations épiques et lyriques, si manifestement élu pour les plus hautes spéculations de l’esprit, était impuissant à se créer un théâtre. Schiller n’était qu’une glorieuse exception à cette loi. Pour susciter une littérature dramatique vraiment nationale, un grand poète ne suffit pas, il faut un public. Il y a un public en Allemagne pour la poésie pure, pour la philosophie; il n’y en a pas pour le théâtre : le morcellement de la patrie s’y oppose. Par une inspiration tout individuelle, Schiller a créé des chefs-d’œuvre; il n’a pas formé d’école, et n’aura pas de successeurs.

Au moment où certains critiques fermaient ainsi la carrière, des écoles nouvelles la rouvraient à grand bruit. Ce furent d’abord les romantiques. Ces brillans esprits, Tieck, Novalis, Frédéric et Guillaume Schlegel, ne pardonnaient pas à Goethe et à Schiller d’avoir préféré à l’inspiration du moyen âge l’idéal de l’antique beauté. Goethe, après Goetz de Berlichingen, avait écrit Iphigénie; Schiller, après Fiesque et Don Carlos, avait conçu la Fiancée de Messine : n’était-ce pas engager le génie allemand dans une direction fausse? L’exemple de Schiller et de Goethe n’avait donc à leurs yeux qu’une autorité fort contestable. Ils prétendirent créer un théâtre plus conforme à l’esprit germanique, et leurs programmes annoncèrent en effet qu’ils seraient fidèles avant toute chose aux traditions de la patrie. On sait les ardentes paroles que Guillaume Schlegel adresse aux poètes en terminant ses leçons sur la littérature dramatique. « L’histoire est la terre vraiment féconde : c’est là que des émules