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et de l’abbé Carlino. L’un craignait quelque accident pour sa maîtresse pendant la bagarre qu’il prévoyait ; l’autre craignait pour la foi de sa pénitente. S’il avait permis que Tom Cribb et ses amis parussent au temple, c’est qu’il connaissait l’invincible horreur de tout bon Irlandais pour la religion des Anglais ; d’ailleurs, sans ajouter foi entièrement aux promesses d’Acacia, il entrevoyait avec plaisir la perspective de l’évêché. Enfin il ne s’agissait, après tout, que de rosser les hérétiques. Une foule indifférente et curieuse remplissait le reste du temple. Près du lingot et de Tom Cribb se tenait Jeremiah, prêt à tout, et particulièrement à assommer Craig ; mais il ne devait combattre qu’à la dernière extrémité.

Dès que tout le monde fut assis, les Allemands jouèrent une symphonie religieuse. Lewis monta en chaire, et commença le service divin. On chanta le psaume : Bless God, my soul ; thou Lord above, et l’Anglais se leva pour parler. L’espoir, la crainte ou la haine étaient au fond de tous les cœurs. Un silence profond s’établit dans ce temple, où plusieurs milliers d’hommes étaient réunis.

Lewis, d’une voix pleine et sonore, annonça le sujet de son discours : le Christ sauveur et civilisateur du monde. Il prit pour texte ces paroles de l’Évangile : Allez et enseignez toutes les nations. Il déclara d’abord que les philosophes les plus illustres de l’antiquité n’avaient pu, par leurs propres forces, atteindre à la lumière divine ; il fit en peu de mots l’analyse de leurs contradictions et de leurs erreurs sur les questions les plus importantes, sur la nature et l’existence de Dieu, sur la nature de l’homme et sur la vie future ; il ajouta qu’on devait surtout attribuer à l’absence de la révélation, confinée en ce temps-là dans un coin ignoré de l’univers, toute la barbarie des lois païennes, l’ignorance du droit des gens, et le honteux esclavage d’une grande partie du genre humain.

Au mot d’esclavage, tous les assistans furent émus, et Craig sourit : il espérait que l’Anglais s’enfoncerait étourdiment dans quelque dissertation abolitioniste, et mettrait le pied dans ce piége-à-loup dont il ne connaissait pas la profondeur ; mais ses espérances furent trompées. D’un regard sévère. Acacia avertit le révérend qu’il se fourvoyait, et Lewis tourna bride sur-le-champ. Il fit entendre que ses paroles s’appliquaient seulement aux esclaves de l’antiquité, qui étaient du même sang, de la même couleur et de la même religion que leurs maîtres. Après avoir prouvé la nécessité d’une révélation, il déclara que l’Évangile était cette parole divine qui devait sauver et régénérer l’humanité. Il montra la nécessité d’interpréter la Bible avec la raison, et les progrès que la race anglo-saxonne avait faits depuis trois siècles dans cette interprétation. Il ajouta qu’elle seule, et quelques autres portions privilégiées de l’Europe, telles que Ge-