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ses intrigues pour venir à bout de son adversaire, prenait ses mesures avec Appleton. On verra bientôt l’effet de leurs complots.


V. — INTRIGUES ÉLECTORALES ET AUTRES.


Acacia faisait des préparatifs tout pareils. Il devinait le projet de son ennemi et guettait ses mouvemens avec le sang-froid et la clairvoyance d’un ancien soldat d’Afrique. S’il avait suivi son inclination, un bon duel aurait en quelques minutes terminé la querelle ; mais le duel n’est pas de mode aux États-Unis. Là, comme en Angleterre, on ne viole pas les lois, on les tourne. Vous connaissez la ruse d’Escobar et la manière d’éviter le duel en se promenant dans un champ et en attendant son homme. Escobar était Yankee, ou méritait de l’être. Il est interdit de se battre en duel, mais non pas de se défendre à main armée. Deux hommes se rencontrent sur une place publique, et, sans souci des voisins, échangent une douzaine de balles. Le jury manque rarement de déclarer que chacun des deux s’est trouvé dans le cas de légitime défense. Quelquefois les passans se mettent de la partie, et la mêlée devient générale. Acacia s’attendait chaque jour à quelque aventure de ce genre, mais il ne voulait pas la provoquer. Il redoutait la prévention naturelle des indigènes, et surtout des know-nothing, contre un citoyen de fraîche date. Sa générosité, sa gaieté, son caractère ouvert et facile, son esprit exempt de préjugés, prompt à se plier aux habitudes de tous, lui faisaient nombre de partisans parmi les Kentuckiens ; il avait d’ailleurs un ami chaud et dévoué dans l’intrépide Jeremiah, son ancien associé en Californie. Tout cela ne le rassurait pas encore. Il voulait devenir un chef de parti tout-puissant dans le comté d’Oaksburgh, et ne tuer Craig qu’après avoir pris ses précautions contre les suites naturelles de cette mort. Notre héros, comme on voit, n’avait rien d’idéal, et ne doit servir de modèle à personne. Cependant, avec ses vices et ses vertus, il n’avait guère d’autres ennemis que les pédans ou les satellites de Craig. Je n’ose dire qu’il eût réussi partout comme au Kentucky : les puritains de la Nouvelle-Angleterre l’eussent mis à l’index ; mais les gens du sud sont plus indulgens pour des vices dont ils ont eux-mêmes une bonne part. La franchise d’Acacia leur plaisait, et ses mœurs relâchées ne scandalisaient pas leur piété un peu tiède.

Avant tout, dans la lutte qu’il prévoyait. Acacia résolut de s’assurer un allié puissant et propre à la bataille, le bon Carlino Bodini. L’abbé, par métier et par tempérament, n’était pas belliqueux, mais il avait, comme tous les prêtres catholiques, une influence extraor-