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ÉTUDES D’HISTOIRE PRIMITIVE.

ties, ne font que passer d’un corps à un autre, qui en révèlent les antipathies, les sympathies et la subordination secrète aux nombres et aux proportions ; ces expériences délicates et subtiles ne tardèrent pas à franchir les murailles des laboratoires, et elles vinrent contrôler ce qui se passait dans le vaste laboratoire où le feu central, toujours allumé, fond, liquéfie, vaporise sous des pressions infinies et depuis des milliers de milliers d’années.

La biologie, quand elle sortit des langes et eut construit ses doctrines, trouva bientôt l’occasion d’en faire l’application à l’histoire de la terre. Parcourant d’un œil exercé les différens terrains qui sont superposés les uns aux autres, elle y reconnut la trace manifeste de flores et de faunes qui n’étaient ni les flores ni les faunes d’aujourd’hui. Bien plus, en arrivant à une certaine profondeur, on ne rencontrait plus aucun débris organisé ; ni plantes, ni bêtes n’avaient vécu dans ces couches-là et à plus forte raison dans celles qui leur étaient inférieures : de sorte qu’il fallut bien convenir que la vie n’était pas contemporaine du globe terrestre ; que celui-ci était plus ancien que celle-là, dont il était le support ; qu’il était un temps où les forces physiques et chimiques se déployaient seules sur la planète, et où les forces vitales, demeurant à l’état latent, n’avaient pas eu les circonstances nécessaires pour se manifester. Il fallut convenir enfin que les flores et les faunes avaient varié de période en période, et avaient été assujetties à la loi du changement. Et de fait, pendant que la vie accusait les modifications successives que le monde primitif avait subies, toutes les autres sciences s’accordaient pour attester que ce monde primitif avait varié et présenté sans cesse un nouveau théâtre à de nouveaux acteurs.

Ainsi la spéculation du cabinet et du laboratoire, amassant, par transmission héréditaire, des trésors de puissance qui sont à tous les points de vue le pouvoir suprême de l’humanité, la spéculation, dis-je, fournit les élémens d’une théorie de la terre. Il ne lui suffit plus, à cette théorie, d’imaginer des hypothèses plus ou moins ingénieuses ; il ne lui suffit pas même d’examiner avec soin le globe terrestre, de le parcourir, de le fouiller et d’en noter les particularités. Pour cesser d’être arbitraire et pour devenir positive, elle dut se soumettre à toutes les conditions élémentaires que les sciences abstraites lui fournissaient. Ce fut le lit de Procuste pour les suppositions aventurées, pour les imaginations téméraires ; mais ce fut le cadre heureux où les observations particulières vinrent s’inscrire et d’où sortit la géologie positive.

À peine la géologie positive fut-elle constituée qu’elle refléta une vive lumière sur la biologie ; c’est là en effet que la relation entre les milieux et la vie se manifeste de la façon la plus évidente. On