Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Rassurez-vous, chère Julia, dit le lingot en souriant ; j’ai dompté des brutes plus enragées que celle-là.

Et il arma de son côté un revolver.

— Appleton, continua-t-il, écoute et comprends-moi. Si tu tires, si tu effraies miss Alvarez, je te brûle la cervelle.

Appleton hésita. Il connaissait et redoutait Acacia ; mais il avait honte de reculer. Le lingot s’avança hardiment, et lui arracha son revolver.

— Sors d’ici, misérable, lui dit-il, et rends grâces à la présence de miss Alvarez, qui m’empêche de te traiter comme tu le mérites.

Appleton sortit plein de rage. Au moment de refermer la porte, il se retourna. — Et vous, dit-il, prenez garde, défenseur des nègres. Vous me retrouverez un jour.

— Que signifie cette menace ? dit John Lewis.

— Ce n’est rien, répondit Acacia. Le serpent n’oserait mordre.

— Paul, dit Julia, il faut nous séparer ; c’est moi qui vous fais tant d’ennemis. On vous tuera.

— Miss Alvarez, dit le Français, si je ne suis plus votre ami, je suis encore votre associé. À ce titre, je reste. Que dirait-on en France si un ancien soldat d’Afrique refusait sa protection à une femme ? J’ai couru pendant trois ans sur les talons d’Abd-el-Kader, et je craindrais un Craig ou un Appleton ! Non, par le Dieu vivant !… Venez avec moi, Lewis.

— Où allez-vous ? dit Julia.

— Chez Jeremiah Anderson. Mon ami John est blessé, et je ne veux pas le confier au docteur Brown, le plus ignorant des mortels. Miss Deborah prendra soin de lui.

— Vous allez souvent chez Jeremiah Anderson, dit Julia ; miss Lucy est bien belle.

Acacia parut mécontent. Il serra silencieusement la main de la jeune fille et sortit avec l’Anglais.

— Mon cher ami, dit Lewis, vous n’êtes ni le frère, ni le mari, ni l’amant de cette jeune dame ?

— Non, certes. Je suis son ami, rien de plus.

Lewis soupira.

— C’est un ange du ciel, dit-il. Quel dommage qu’elle soit aveuglée par les ténèbres du papisme !

— Eh bien ! convertissez-la.

Il y eut un moment de silence. L’Anglais reprit :

— Qu’est-ce que miss Deborah Anderson ?

— C’est votre médecin.

— Vous vous moquez.

— Je ne me moque pas. Miss Deborah est aussi bon médecin et