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que ce grand acte ait été en quelque sorte le dernier bruit de la vie extérieure de nos colonies ? Pourquoi, sauf de rares exceptions, l’indifférence a-t-elle remplacé l’ardente sollicitude dont elles étaient autrefois l’objet ? Nos modestes possessions coloniales fussent-elles seules en cause qu’à notre avis il y aurait un intérêt suffisant, et comme un devoir, à les suivre dans le travail de transformation auquel les a un matin livrées la métropole. Comment, au milieu de ce nivellement social trop inopiné pour n’être pas à l’origine un peu désordonné, la race caucasique a-t-elle maintenu son rôle providentiel de race civilisatrice ? Comment a-t-elle secondé les efforts plus ou moins intelligens, mais toujours persistans et sympathiques du gouvernement ? Jusqu’à quel point la race africaine, passant si rapidement de la servitude à la liberté, a-t-elle donné raison à ces funèbres prédictions, devenues articles de foi pour les abolitionistes comme pour les défenseurs de l’esclavage ? Quel est enfin le bilan économique du travail libre inauguré depuis tantôt dix ans dans les colonies françaises ? Ce seraient là des questions bien dignes assurément d’une attention sérieuse, si d’autres circonstances ne les recommandaient encore à notre sollicitude. Le sourd travail de désorganisation qui se manifeste chaque jour, plus incontestable et plus incontesté, dans la partie de l’Union américaine encore en proie au fléau de l’esclavage, — les efforts des colonies espagnoles cherchant à se recruter de travailleurs libres, — la révolution dont l’empire chinois est depuis plusieurs années le théâtre, — la terrible perturbation qui agite depuis quelques mois l’Inde anglaise, — le débat qui se prolonge entre la France et l’Angleterre sur l’introduction des noirs dans nos possessions d’outre-mer, — tous ces faits et bien d’autres sont autant d’élémens d’une situation qui, étudiée dans ses rapports avec les affaires coloniales, prend un intérêt d’à-propos tout exceptionnel et réclame un examen attentif.


I

L’émancipation, décrétée au milieu d’une si vive surexcitation de la métropole, s’est assez pacifiquement accomplie dans nos colonies. Sans les sinistres et douloureux désordres fomentés à la Martinique par quelques ambitieux de bas étage qui rêvèrent immédiatement la substitution des races à leur profit, la perpétration de ce grand acte n’eût pas coûté une goutte de sang. À l’île Bourbon (dont le nom a été, on ne sait pourquoi, changé en celui de Réunion, qui n’offre plus aucun sens), tels furent le bon esprit et la docilité des nouveaux citoyens, qu’ils accomplirent scrupuleusement, et sans bouger de leurs glèbes respectives, un engagement de travail libre