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XVIIe siècle, et, selon nous, immédiatement après Mme de Sévigné et Mme de La Fayette. Malheureusement ces conversations si aimables traînent souvent, il faut en convenir, en une longueur un peu fatigante, et celles du Cyrus demanderaient qu’une main amie en retranchât les redites et les mille petites inutilités, inévitables dans le commerce ordinaire, et qui même en font le naturel et la grâce, mais qui, transportées dans un livre, ne produisent plus le même effet, l’œil, dit le poète, étant bien moins indulgent que l’oreille. L’art de parler sert beaucoup à l’art d’écrire, mais ce sont deux arts différens ; et pour atteindre la perfection de la conversation écrite, il faudrait joindre, quand on tient la plume, à l’allure naturelle et libre, à l’heureux abandon de la parole, une réflexion prompte et sûre, capable de surveiller l’inspiration sans la gêner, et d’en émonder légèrement le luxe en en conservant l’aisance, la fraîcheur, la fécondité. Cet art merveilleux n’a été donné à aucun moderne, pas même à Malebranche. Enfans du moyen âge et de la scolastique, nous dissertons, nous ne causons pas, j’entends la plume à la main. Seul, au printemps de la civilisation antique et dans la fleur du génie grec, Platon, entre Aristophane et Phidias, a dérobé ce secret à la Muse, et il l’a emporté avec lui.

Mais hâtons-nous de marquer nettement dans le Cyrus ce qu’on doit sacrifier absolument et sans retour, et ce qu’on peut essayer de disputer à l’oubli. Il y faut distinguer les aventures et les portraits. Cette distinction est fondamentale. Dès qu’on la perd de vue, tout l’intérêt vrai du Cyrus échappe. En effet, les aventures et tout ce qui fait la trame du roman sont des fictions fort médiocres, qui n’ont jamais dû amuser beaucoup les contemporains, et qui sont aujourd’hui, à bien peu d’exceptions près, sans le moindre intérêt pour nous. Il en est tout autrement des portraits : ils méritent encore la plus sérieuse attention à un double titre, et par leur valeur propre, et par leur importance historique. La touche en est à la fois vraie et fine. Rien de général et de vague ; on sent bien que ce ne sont pas là des types imaginaires inventés à plaisir ; une multitude de nuances, marquées et développées avec un art souple et délicat, disent assez que ces copies si naturelles ont été prises sur le vif. Sans doute ce n’est pas le puissant et brillant pinceau de Titien ou de Van-Dyck, mais c’est presque toujours le crayon fidèle et agréable des Demoustier, appliqué aux figures les plus gracieuses ou les plus héroïques du XVIIe siècle.

Cette distinction du récit et des portraits sort de toutes parts d’une lecture attentive du Cyrus. Elle est si vraie que ce n’est pas nous qui l’avons découverte : elle a frappé d’abord un contemporain de Mlle de Scudéry, homme d’esprit, mais d’une humeur cynique à la fois et atrabilaire, qui semble avoir pris à tâche de peindre