Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/929

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus brillans, sa mine plus haute et plus fière, son action plus libre, sa voix plus éclatante, et toute sa personne plus majestueuse, de sorte qu’au moindre commandement qu’il faisoit il portait la terreur dans l’âme de tous ceux qui l’environnoient. Il paroissoit pourtant toujours de la tranquillité dans son âme malgré cette agitation héroïque… Sa présence avoit quelque chose de si divin et de si terrible tout ensemble que l’on peut dire que, quand il étoit à la tête de son armée, il ne faisoit pas moins trembler ses amis que ses ennemis. Il est vrai que ce sentiment faisoit des effets bien différens dans le cœur des uns et des autres ; car les derniers, par la crainte qu’ils avoient de lui en prenoient bien souvent la fuite, et les premiers, par celle qu’ils avoient de lui déplaire, étoient incomparablement plus vaillans, étant certain que le feu divin qui échauffoit son cœur et qui brilloit dans ses yeux se communiquoit à toute son armée et lui donnoit une ardeur de combattre qui n’étoit pas une des moindres causes de la victoire. Voilà quel était Cyrus lorsqu’il avoit les armes à la main. » Ailleurs encore[1] : « Il y avoit je ne sais quoi de si noble et de si grand en son action, et une activité si pénétrante dans ses regards que, ne les pouvant soutenir, on étoit contraint de baisser les yeux, tant la colère le faisoit paraître redoutable ! » Ces fortes images pouvaient-elles ne pas faire penser à Condé, et particulièrement ce regard de feu, ce regard héroïque, que Mlle de Scudéry s’efforce ici d’exprimer, ne désignait-il pas de la façon la plus vive et la plus frappante « ce jeune prince du sang qui portait la victoire dans ses yeux, » comme plus tard le dira Bossuet dans l’oraison funèbre de Condé ? Comment ce grand coup de pinceau, que Mlle de Scudéry avait devancé et préparé pour ainsi dire, n’a-t-il pas éclairé l’auteur des Satires, et rendu manifeste à ses yeux le héros français si légèrement caché sous le nom de Cyrus ?

Mais ce même héros, allez-vous dire, n’est plus qu’un berger langoureux dès qu’il songe à Mandane. Il est vrai, Cyrus a beau être un grand conquérant ; comme il est sincèrement amoureux, dès qu’ils est auprès de Mandane, le guerrier intrépide devient le plus timide ; des hommes. Quelque passionné qu’il soit pour la guerre, s’il faut quitter Mandane pour aller à l’armée, il se trouble et soupire. « Quelle honte ! » va s’écrier Boileau. O sage Boileau, ne vous hâtez pas de vous mettre en colère, et lisez plutôt ce passage irrécusable des Mémoires de Mademoiselle : « Quand le duc d’Enghien, dit-elle[2], partoit pour l’armée, le désir de la gloire ne l’empêchoit pas de sentir la douleur de la séparation, et il ne pouvoit dire adieu à Mlle du Vigean

  1. Le Grand Cyrus, t. X, liv. Ier, p. 494.
  2. Mémoires, édit. d’Amsterdam, 1735, t. Ier, p. 85.