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à peine croyables ? Non. L’île de Jersey a d’assez grands avantages de climat, jamais le thermomètre n’y atteint un maximum élevé, et rarement il y descend au-dessous de zéro ; l’hiver y est doux, pluvieux et court, comme sur les côtes françaises qui l’avoisinent ; mais quant au sol proprement dit, il appartient à la même formation granitique que la Bretagne et le Cotentin. On n’y a ni chaux ni marne, on les remplace par les plantes marines ou varechs, qui croissent en abondance sur les rochers baignés des flots, par une assez faible quantité de guano et de poudre d’os, et surtout par le fumier de ferme, qui est plus riche et plus abondant qu’ailleurs à cause du nombre inusité d’animaux que l’assolement suivi permet de nourrir. « On est encore loin, disent MM. Girardin et Morière, d’utiliser convenablement l’engrais humain ; » ce qui permet de concevoir encore de nouveaux progrès dans l’avenir.

Ni lin, ni colza, ni betterave à sucre, ni tabac, ni garance, ni aucune autre plante industrielle ; la fabrication du cidre elle-même, cette richesse spéciale de l’île, paraît beaucoup plus en voie de diminuer que de s’accroître. « Les pièces plantées en pommiers, disent formellement nos deux voyageurs, ont été plus nombreuses à Jersey qu’elles ne le sont aujourd’hui. » Observation d’autant plus remarquable qu’elle émane de deux partisans très déclarés de la culture du pommier et de la production du cidre. Ceci n’est pas pour blâmer ceux qui cherchent dans les plantes industrielles, ou dans les industries annexées à la culture, un bénéfice parfaitement légitime, quand il n’a pas pour conséquence d’en empêcher d’autres ; je veux montrer seulement que ces brillans produits, qui ne peuvent pas prendre un caractère universel, ne sont pas absolument nécessaires pour porter le sol à un haut point de revenu, et que la simple culture des plantes fourragères suffit avec le temps pour créer une richesse qui ne connaît pas de supérieure. Or cette culture est possible à peu près partout, et il y a bien peu de points de notre sol qui, traités comme l’île de Jersey, ne puissent atteindre une valeur sinon égale, du moins analogue.

Les cultivateurs jersiais sont arrivés à produire, en moyenne, 35 hectolitres de blé à l’hectare, semence déduite. Les panais, les navets, les pommes de terre, les carottes, les betteraves, réussissent dans la même proportion. Les prairies, tant naturelles qu’artificielles, sont parvenues à un rare degré de fécondité. Le chou-cavalier y atteint fréquemment, selon MM. Girardin et Morière, de 3 à 4 mètres de hauteur. L’extrême division du sol ne permet pas d’entretenir beaucoup de moutons ; c’est à peine si l’on aperçoit cinq ou six de ces animaux dans les principales fermes. En revanche, la race bovine est d’une qualité supérieure pour la production du lait.