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pendant la cherté, et qui leur permettraient aujourd’hui de faire quelques sacrifices dans l’intérêt commun. Rien n’est plus faux que ces formules générales qui ne tiennent aucun compte des différences de localités. Sans doute ceux des producteurs qui ont eu un excédant notable à vendre en sus de leurs frais de production ont beaucoup gagné pendant la disette[1] ; mais ceux qui n’ont eu qu’un faible excédant n’ont rien gagné du tout, et ceux en plus grand nombre qui n’ont pas eu d’excédant ont perdu. Il faut bien que le déficit de récolte se retrouve quelque part. C’est surtout dans le midi que ce déficit a été sensible, et c’est encore dans le midi que la baisse est aujourd’hui la plus forte : dans l’un et l’autre cas, la condition des producteurs est mauvaise sans compensation. Ces pertes successives ne sont pas de nature à faciliter une transformation qui ne peut s’opérer que par des capitaux, c’est-à-dire par des bénéfices. Le midi exporte peu de blé, puisqu’il en manque pour sa propre consommation ; mais les producteurs y sont intéressés à ne pas trop voir refluer sur eux les blés du nord, obtenus à meilleur marché, et si l’exportation du blé proprement dit y est à peu près nulle, il n’en est pas de même du maïs, des légumes secs et frais, etc.

En règle générale, la liberté d’exportation est la plus précieuse de toutes, non-seulement dans l’intérêt du producteur, mais dans celui du consommateur. C’est la plus sûre garantie contre les disettes, puisqu’elle provoque, en temps ordinaire, production d’un excédant régulier qui sert à remplir le vide des mauvaises récoltes. La défense d’exportation a été la grande faute du gouvernement de Louis XÎV. Les nombreuses disettes du XVIIIe siècle n’ont pas eu d’autre cause. Il y a juste aujourd’hui cent ans qu’ont paru dans l’Encyclopédie les articles grains et fermiers du docteur Quesnay, où le fondateur de l’économie politique a démontré jusqu’à l’évidence les inconvéniens de cette législation : « Ce ne sont pas seulement les bonnes ou mauvaises récoltes, dit Quesnay, qui règlent le prix du blé ; c’est principalement la liberté ou la contrainte dans le commerce de cette denrée qui décide de sa valeur. Si on veut en restreindre ou en gêner le commerce dans les temps de bonne récolte, on dérange les produits de l’agriculture, on diminue le revenu des propriétaires, on ruine les laboureurs, on dépeuple les campagnes, on affaiblit l’état. Ce n’est pas connaître les avantages de la France que d’empêcher l’exportation du blé par la crainte d’en

  1. Ces bénéfices ont été surtout considérables dans la riche région qui avoisine Paris. Il résulte d’un rapport de la commission de surveillance de la société pour l’exploitation de la ferme de Bresles, dans le département de l’Oise, que les bénéfices nets de cette société se sont élevés en 1856 à 246,000 fr., sur un capital de 800,000, ou plus de 30 pour 100.