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nesse, et c’est fort bien. Il s’agit maintenant de ne pas oublier les chasseurs. Comme il n’y a que vous au monde pour composer une omelette au lard, faites-moi le plaisir avant midi de vous trouver au chalet suisse avec armes et bagages, et là de nous élucubrer une omelette comme vous seule en savez faire. Je vous promets de rapporter un appétit de chasseur qui fera honneur à votre cuisine.

Intimement flattée des éloges accordés par son maître à ses talens culinaires, la bonne paysanne salua en disant : — Monsieur le comte peut être sûr que je ferai de mon mieux.

— Une fine couvée de vauriens que tu as dénichée, Mathusalem ! dit Marmande, qui, interpellant le garde, désigna du doigt la bande de petits drôles réunis dans la cour.

A l’arrivée de son maître, Laverdure, grognon et boudeur autant qu’il appartient à un vieux serviteur, Laverdure, disons-nous, qui n’avait pas oublié les reproches immérités de la veille, se découvrit respectueusement; mais sa figure demeura grave et sévère, et la familière apostrophe de son maître ne parvint pas à dérider son front.

Marmande continua : — Ce ne sont pas les plus gros moineaux qui font le plus de bruit, et nous jugerons les tiens à l’œuvre.

Ces avances demeurèrent encore sans effet, et Laverdure garda le silence. La ténacité inaccoutumée de la rancune du patriarche ne découragea pas le comte, bien au contraire. Comme s’il eût tenu à honneur de faire tous les frais de la réconciliation, Marmande ajouta de sa voix la plus insinuante : — Quel est ton plan pour la chasse d’aujourd’hui, que je veux bonne? Battrons-nous les terres du moulin des Étangs, ou celles de la ferme du Chêne? Parle, décide, toi qui connais personnellement et intimement tous les lièvres et perdreaux à trois lieues à la ronde.

— J’attends les ordres de monsieur le comte, reprit le vieillard, aussi insensible aux avances de son maître qu’Achille retiré sous sa tente aux messages de paix du roi des rois.

— Ah! très bien, interrompit le comte avec une explosion de bonne humeur, tu me boudes. Tu me boudes pour t’avoir dit hier tes vérités. J’aurais dû prendre des circonlocutions, ou plutôt ne rien dire du tout! Sais-tu, Laverdure, que tu ne me passes rien, absolument rien, pas même de te faire poliment observer que tu n’en fais jamais qu’à ta tête... Cela ne m’arrivera plus... Faisons la paix. Est-ce qu’il ne faut pas me passer quelque chose quand je suis dans mes humeurs comme j’étais hier?... M’en veux-tu toujours, vieille buse? ajouta le comte, qui prit avec une touchante familiarité la main du vieux serviteur.

Une émotion profonde coupa la parole à Laverdure, et respec-