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dent de chasse, tandis que l’expression de dignité naturelle aux traits de Robert était encore relevée par une noble blessure reçue devant l’ennemi en combattant pour le drapeau de son pays. Pour la première fois, un sentiment d’envie contre son frère vint crisper le cœur du comte.

Mme de Laluzerte poursuivit en fixant des yeux ardens sur son vis-à-vis comme si elle eût voulu lire au plus profond de sa pensée : — Oh ! j’ai toujours eu un faible pour M. Robert, et je ne m’en cache pas. Le dire, n’est-ce pas avouer un faible que tout le monde partage, notre chère Anna la première? Je ne sais si je me fais illusion, mais il me semble que depuis le retour de notre ami elle a repris ses belles humeurs de jeune fille. Elle n’est ni meilleure ni plus aimable, mais elle est plus gaie; il y a plus de rose à ses joues, que je trouvais bien pâlottes, et qui m’inquiétaient, ajouta la dame en donnant à sa voix toute l’expression de bonhomie dont l’ingrat instrument était susceptible.

— Oh ! vous prêtez trop d’influence, chère baronne, au retour de mon brave Robert, interrompit Marmande.

— Mais non,... non vraiment! répliqua la dame. Qu’y aurait-il d’étonnant à ce que la joie de revoir un de ses plus anciens amis, surtout après les doutes si cruels que nous avions eus sur son sort, eût exercé une véritable et heureuse influence sur la santé de la chère petite? Des sentimens d’amitié, même de reconnaissance, l’attachent à notre jeune ami; n’était-il pas son compagnon de voyage lors de son retour en France? n’a-t-elle pas trouvé en lui pendant les longs mois de la traversée des soins, un dévouement qu’une affection de toute la vie peut seule payer?

Ces paroles résonnèrent une à une dans le cœur de Marmande, comme le marteau sur un timbre éclatant. — Je ne savais pas ma femme en pareils termes d’intimité avec Robert, dit le comte de la voix émue d’un homme qui sort d’un rêve pénible.

— Oh ! ne trahissez pas mon indiscrétion, ne grondez pas la bonne petite, dit la dame avec une légèreté charmante. Nous autres femmes, nous avons toutes nos petits mystères, nous ne serions pas femmes sans cela! Et tenez, puisque je suis en veine de confidences, que je vous fasse aussi les miennes. Il y a deux ans, moi qui ne faisais pour l’établissement d’Anna que des rêves possibles, j’avais pensé qu’un jour peut-être... Mais je n’avais pas fait dans mes rêves la part de la bonne étoile de la chère enfant, qui lui réservait en partage l’un des plus nobles et des plus riches partis de France.

Sans doute cette confidence ne contribua pas à ramener le calme dans le cerveau du comte, car, sans répondre à son interlocutrice, il demeura la tête inclinée sur sa poitrine, dans l’attitude d’un homme en proie aux plus sombres méditations. Un autre personnage, le ba-