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dames, reprit le comte, que ce gibier est de la plus exquise délicatesse.

En entendant Marmande confirmer ses appréciations, le visage de Cassius rayonna d’une intime satisfaction, qui ne fut en rien diminuée lorsque, de l’air du monde le plus naturel, le comte lui demanda s’il avait eu la bonne chance de jouir non-seulement des plaisirs que le grouse donne au gourmet, mais encore de ceux qu’il offre au chasseur.

Le piège était tendu à ciel ouvert, et cependant l’anglomane s’y précipita sans hésiter, car il reprit au milieu du plus profond silence : — Assurément, et je peux vous donner la chasse aux grouses comme le best sport des trois royaumes. C’était il y a deux mois, aux premiers jours d’août, nous nous trouvions à Moidart-Castle, comté de Glasgow, Scotland, une réunion de sporting characters: lord Sam Partridge, le fils aîné du marquess of Pheasant, le major général sir Harry Hare, honorable captain Rabbit des Blues, George Snipe, Bengal civil service, poursuivit le narrateur avec cette rigidité d’étiquette britannique qui rend à César ce qui appartient à César, all select people, et nous eûmes, je vous assure, five capital shooting days au milieu de la contrée la plus pittoresque du monde. Et rien ne manquait à la scène : c’était du Walter Scott en action, car nous avions tous adopté le regular dress du highlander.

— Et vous aussi, Cassius! dit le comte avec un sentiment de surprise moins pénible sans doute, mais non moins profond que celui de César reconnaissant Brutus parmi ses meurtriers.

— C’est le costume de rigueur, et il serait shocking, mais shocking, de ne point l’adopter, poursuivit Cassius. Je puis vous assurer même que je m’en suis tiré à mon honneur. J’ai porté le plaid et le kilt comme un Écossais, si bien que sir Josias Moidart a voulu me recevoir membre du clan dont il est chef, ce qui a été fait en grande pompe devant cinq cents montagnards, tambour battant, enseignes déployées !

Ce récit, qui, s’il n’attestait la puissance d’imagination de l’anglomane, prouvait du moins que sir Josias possédait son Molière, et avait su approprier à la circonstance la scène de réception du Malade imaginaire, eut un grand succès dans l’auditoire, auquel il communiqua comme par un fil électrique le désir de voir M. Cassius métamorphosé en highlander.

— Avez-vous conservé votre costume? dit la baronne.

— Que vous seriez aimable de me montrer dans tous ses détails un véritable costume écossais! reprit Mme de Marmande, qui avait souvent rêvé des courageux amis de la poétique Diana Vernon.

— Je ne manquerai pas de saisir la première occasion de satisfaire vos désirs, dit Cassius en s’inclinant galamment.