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je me sens toute ragaillardie de te revoir. Ah ! Diogo, mon garçon, tu m’as rendu la vie en me ramenant Manoela… Je t’en serai éternellement reconnaissante…

— En ce cas, répondit Diogo, à table et dînons ; la promenade m’a ouvert l’appétit, et c’est comme si j’avais été à la pêche, car j’ai donné un fameux coup de filet. Au dessert, mère Josefa, vous nous servirez de ce vieux vin que vous cachez ici, derrière l’alcôve, et nous boirons de bon cœur à votre santé d’abord…

— Tu es bien aimable, mon petit Diogo.

— Et puis à la nôtre, car je vous demande, séance tenante, la main de votre fille. Vous ne pouvez me la refuser, puisqu’elle a rapporté elle-même sa rançon !

Au moment où l’on se mettait à table dans la maisonnette animée d’une joie subite, le grand navire perdait de vue la petite île de Flores. Doña Teresa, qui venait d’achever sa toilette, s’asseyait pour déjeuner auprès de sa mère, et dévorait nonchalamment un pot de confitures de goyaves. Doña Rosario, — qui était de l’ancienne école, — allumait une cigarette de maïs en humant son café, et le capitaine, étendu sur un fauteuil, rongeait des puros de première qualité sur les rayons de sa cabine.

— Ah ! dit Teresa en portant la main à son front, quelle vilaine petite île vous nous avez fait voir là, capitaine !… J’en emporte une migraine affreuse !

— Vous m’aviez pourtant promis de ne plus me faire la moue et de ne plus bouder ! répondit le marin…

— Et cette petite fille que j’avais pris la peine d’amener ici… Je suis bien aise d’en être débarrassée !… Une petite pleureuse qui soupirait après son rocher et n’écoutait rien de ce que je lui contais !

— Et cette chèvre, qui répandait une odeur infecte ! ajouta doña Rosario en se pinçant les lèvres pour lancer la fumée de sa cigarette par les narines. Je suis enchantée qu’elle soit partie ; seulement je regrette que cette relâche nous ait coûté si cher.

— Je le regretterais aussi pour ma part, reprit le capitaine, si nous n’avions fait deux heureux.

— Des heureux sur ce rocher ? interrompit Teresa.

— Pourquoi pas ? dit le marin. Vous avez doté Manoela, et moi j’ai doté le pêcheur. Après tout, un pareil résultat vaut bien un petit mal de tête, et j’en conclus que nous n’avons pas perdu notre journée.


TH. PAVIE.