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que de modération ! Franchement il serait bien plus intéressant s’il était un peu moins sage. Ma conclusion, après avoir lu la Biographie, c’est qu’il n’a manqué qu’une chose à Béranger : l’imprudence. Et cependant cette Biographie est un joli livre, et, malgré toutes ses réticences, nous apprend à mieux connaître Béranger. Toutes les pages consacrées à son enfance sont pleines de détails curieux. C’est une enfance sans fraîcheur et qui prédit ce que sera l’homme un jour. Quelques critiques assez malavisés ont cru devoir reconnaître à Béranger une certaine parenté avec La Fontaine, et pour justifier cette parenté, ils ont attribué au chansonnier je ne sais quelle naïveté, qui a été toujours absente et de sa vie et de ses œuvres. Béranger n’a jamais connu cette innocence naturelle, cette ignorance aimable de toutes les choses artificielles de la civilisation qui sont nécessaires pour constituer cette franchise de sentimens qui s’appelle naïveté. Ce sont des influences artificielles et non des influences naturelles qui ont pesé sur son enfance. Sa famille présentait tous les contrastes que présentent les sociétés trop chargées de civilisation. Son éducation a manqué d’unité et a subi mille vicissitudes contradictoires. Il est né pauvre, puis il a connu toutes les petites misères de la médiocrité de « fortune, puis il a goûté une demi-opulence, à laquelle a succédé une complète détresse. Toutes ces vicissitudes de fortune propres à mûrir trop prématurément un jeune esprit, il les avait éprouvées avant d’avoir atteint sa vingtième année. Mêmes contradictions dans son éducation intellectuelle et morale, comme dans le caractère des personnes qui ont eu la garde de son enfance. Son grand-père, honnête tailleur, homme tout populaire, le gâtait de son mieux. « Ils (ses grands parens) firent de mes oncles et de mes tantes mes très humbles domestiques, et ce n’est pas leur faute si je ne contractai pas dès lors le goût d’une mise élégante et recherchée. » Son père, homme vain et d’une sécheresse de cœur assez remarquable, était plein de prétentions nobiliaires, et ne laissa à son fils pour toute preuve d’amour paternel que cette fameuse particule que l’on s’étonne de voir accolée au nom du chansonnier. Sa mère, jeune femme un peu mondaine, qui vivait séparée de son mari, ne s’occupait de l’éducation de son fils que pour, effacer de son mieux les leçons qu’il recevait rue Montorgueil, chez le vieux tailleur. « J’allais de temps à autre passer huit ou quinze jours auprès d’elle, près du Temple… Souvent elle me conduisait aux théâtres du boulevard ou à quelques bals et à des parties de campagne. » Oublié par son père, négligé par sa mère, à charge à ses grands parens devenus nécessiteux, on l’envoie à l’âge de neuf ans chez une tante, ardente républicaine, qui ne négligea rien pour imprimer ses opinions dans l’esprit du jeune enfant. On le