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de la chèvre blanche, qui exécutait avec coquetterie mille gracieuses courbettes.

— Ah ! reprit la duègne, vous pouvez la prendre, la vilaine bête ; elle broute les tiges de ma vigne et saccage mon champ de fèves !

Manoela leva sur sa mère un regard suppliant ; elle passait ses mains autour du cou de la chèvre blanche, qui faisait entendre un petit bêlement et regardait sa maîtresse avec des yeux humides.

— Non, mon enfant, répliqua doña Rosario ; gardez cette petite bête, qui vous aime, et à laquelle vous semblez attachée. Gardez-la, Manoela ; ma fille en serait ennuyée avant deux jours.

— Ah ! vous auriez tort de vous en priver, interrompit la duègne avec vivacité ; aussi bien, quand Manoela ne l’aura plus avec elle, peut-être sera-t-elle plus active au travail… Les jeunes filles d’à présent ne savent plus rien faire. Ah ! si j’avais eu un garçon !

Manoela pleurait silencieusement ; il y avait dans la voix de sa mère un accent de dureté qui effraya Teresa, si peu habituée aux rudes paroles. Se penchant à l’oreille de la jeune fille : — Ma chère petite, lui dit-elle, votre mère a l’air bien méchant !

— Oh ! non, senhorita ; seulement elle m’en veut de ce que je ne gagne pas assez d’argent…

— N’est-ce que cela ? reprit la jeune Péruvienne. Attendez que je dise un mot à ma mère.

Il s’établit entre doña Rosario et sa fille un colloque à voix basse très animé, et qui dura bien cinq minutes. La mère résistait à quelque nouveau caprice de sa fille, et celle-ci, parlant avec une volubilité extrême, frappait la terre de son petit pied, et appuyait ses argumens d’une pantomime fort animée. Peu à peu la mère fut réduite au silence ; elle poussa un soupir, qui était le signe certain de sa défaite, et Teresa triomphante s’écria avec transport : — Doña Josefa, votre fille me plaît ; elle me plaît beaucoup, je la prends sous ma protection… Vous entendez, Manoelita ? Donnez-moi votre main, relevez la tête, essuyez vos yeux bleus et ne pleurez plus. C’est chose convenue entre ma mère et moi ; puisque vous ne voulez pas me céder votre chèvre, je vous emmène toutes les deux…

— Teresita, Teresita… disait doña Rosario en lui appuyant son éventail sur le bras pour arrêter ses imprudentes paroles.

— Eh bien ! ma chère mère, si vous le désirez, je laisserai les poules et les paniers. Je ne veux pas dévaliser la maison ; non, il faut être raisonnable. Manoela et sa chèvre blanche nous suivront à Cadix. Est-ce entendu ?

La vieille Josefa ouvrait de grands yeux ; elle semblait tenir en arrêt les petites mains de Teresa, qui dénouait précipitamment un coin de son mouchoir. Dans ce mouchoir résonnaient de belles onces