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grand’peine. Teresa murmura un peu de ce qu’il lui fallait s’asseoir avec ses robes de soie sur les bancs humides d’une barque tout imprégnée d’odeur de poisson, puis elle agita bruyamment son éventail et finit par rire aux éclats. Cinq minutes après, la chaloupe touchait au rivage ; le capitaine sauta à terre et tendit la main aux deux dames. Quand elle sentit la terre ferme sous ses petits pieds, Teresa poussa un cri de joie. — Bonjour, bonjour, mes braves gens, disait-elle en saluant du geste les indigènes qui s’inclinaient sur son passage ; quelle langue parle-t-on ici ? hein !… Réponds donc, toi, petit garçon, au lieu de secouer ainsi ce vieux coq que tu tiens par les pattes.

Vossa mecé quer comprar hum gallo[1] ? répétait l’enfant, et à chaque fois qu’il allongeait le bras, le pauvre coq râlait d’une façon pitoyable.

Vossa mecé quer comprar leite, vinho[2] ? criaient à l’unisson les cultivateurs descendus des hautes régions de l’île et les duègnes à cheveux gris qui entouraient les étrangers en leur présentant à l’envi le lait et le vin enfermés dans des cruches de grès.

— Voilà qui devient assourdissant, s’écria doña Rosario. Parler tous à la fois, et du portugais encore !… Teresa, Teresa, que fais-tu là, ma fille ?

— Je bois du lait frais, répondit Teresa, qui élevait gaiement au-dessus de sa tête une cruche à deux anses ; tiens, ma petite, voilà pour toi ; comment t’appelle-t-on ?

— Elle se nomme Manoela, répondirent en masse les villageois ; senhorita, donnez-nous quelque chose, un petit reis, hum reizinho por amor de Deos ! — Et les mots por amor de Deos, prononcés d’abord à demi-voix, éclatèrent bientôt comme une clameur.

— J’entends un peu votre langue, répliqua Teresa, mais je n’entends rien à votre monnaie ; voilà des réaux, en voilà à pleines mains ; prenez, ramassez et faites silence.

— Teresa, lui cria encore sa mère, viens donc et laisse là cette troupe de mendians !

— Ce sont des visages humains, répliqua Teresa ; il y a longtemps que je n’en ai vu. Tenez, chère mère, regardez un peu celle qu’ils appellent Manoela : n’est-ce pas qu’elle est jolie ?… Approchez, Manoela, approchez, n’ayez pas peur. Dites-moi, je vous prie, où est la ville ?

— Devant nous, senhorita ; de l’autre côté de l’île se trouve la ville de Santa-Cruz.

— Très bien. Et ce chemin tout plein de sable, cette grève que

  1. Votre seigneurie veut-elle acheter un coq ?
  2. Votre seigneurie veut-elle acheter du vin, du lait ?