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— Teresa, Teresita, reprit le capitaine, voyez-vous cette brume devant nous ?

— Des nuages, et toujours des nuages qui se mirent dans l’eau.

— Sous ces nuages, il y a une île, señorita ! Je la vois, et les matelots la devinent, quoique je ne leur aie rien dit encore…

Teresa, qui avait fait un pas pour descendre, revint sur le pont. Les matelots, réunis à l’avant du navire, se montraient du doigt la terre qu’ils avaient su distinguer au milieu des brumes mobiles chassées par la brise du matin. Ébranlée dans son incrédulité, la jeune fille se pencha sur le bord, et, s’appuyant au bras du vieux capitaine :

— Jésus ! Mariai s’écria-t-elle ; mais c’est une vraie terre ! Oh ! si vous vouliez me permettre de m’y reposer un jour, rien qu’un jour !…

— Nous verrons, dit le capitaine en affectant un air sérieux.

— Je vous en prie, vous seriez si aimable !… Je ne me plaindrais plus de la longueur de la traversée, je ne vous ferais plus la moue… Oh ! si j’avais la terre ferme sous les pieds, vous me verriez courir comme une biche, plus joyeuse, plus heureuse que la reine de toutes les Espagnes. Vous le voulez bien, n’est-ce pas, capitancito ?

— Eh ! oui, répliqua le marin, puisque c’est à cause de vous que je me suis approché de ces îles…

— Ma mère, ma mère, cria vivement Teresa, montez sur le pont ; une terre, une île, là, tout près de nous… Capitaine, il n’y a pas de sauvages au moins ?

— Nous ne sommes plus dans les mers du sud, répliqua le capitaine, et l’Afrique est bien loin…

— Ah ! quel bonheur, mamita ; il faudra prendre de l’argent, beaucoup d’argent. Je veux acheter bien des choses ; il y a si longtemps que je n’ai pu faire la moindre emplette… Ah ! c’est là le plaisir à Lima ! On entre dans tous les magasins de la grande place, le long du portal de Botoneros, où il y a tant de petits Français blonds et frisés comme des chérubins, qui vendent les plus belles soieries !… Et des éventails, et des souliers de satin, et des gants !…

La jeune fille qui babillait ainsi à la manière d’une perruche péruvienne pouvait avoir quinze ans. Vrai type des femmes de Lima qui sont des Castillanes écloses au soleil du tropique, elle avait l’esprit enjoué, la parole vive, l’humeur capricieuse et cette franchise d’allures naturelle à toute la race espagnole. Sa mère, dona Rosario, née à Cadix, où un négociant du Pérou l’avait épousée dans un de ses voyages, était veuve depuis quelques années. Elle avait ressenti le regret du pays natal, et, se trouvant isolée à Lima, elle s’était décidée à retourner dans sa famille. Tandis que sa fille, impatiente de toucher la terre, tirait du fond des malles où elles reposaient