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des batteries flottantes, soit pour celui des autres navires de la division, et permettait d’élever de tous côtés des obstacles insurmontables, Les fossés pratiqués dans la glace avaient une largeur de 2 mètres, et plusieurs bâtimens, à l’imitation des ouvrages construits à terre, firent des trous-de-loup de 1m50 de circonférence, trous-de-loup bien autrement terribles que ne l’étaient ceux des avant-postes, car pour le malheureux qui y serait tombé il ne restait aucune chance de salut. Un jour que nous nous étions dirigés du côté d’Otchakof, c’est-à-dire sur le point le plus large du liman, poursuivant des canards sauvages, notre chien, qui nous précédait, fit rompre la glace sous le poids de son corps dans un endroit vers lequel nous marchions sans défiance. La pauvre bête fit des efforts affreux pour sortir de cette espèce de bassin qui s’agrandissait sous ses pattes. Nous fûmes obligés de rester les témoins impassibles de ses souffrances, ne pouvant nous approcher de la victime sans risquer de partager son sort. Ses griffes ne trouvant aucun point d’appui sur les bords, elle retombait essoufflée, haletante, à demi paralysée par le froid, et faisant entendre des hurlemens plaintifs. Enfin au bout de dix minutes de lutte et par un hasard extraordinaire, car nous la croyions perdue, elle revint vers nous. Cet incident nous démontra combien nos remparts étaient dangereux. Un homme ayant à se préoccuper de ces obstacles ne pouvait être un assiégeant bien redoutable. La canonnière la Meurtrière seule eût pu soutenir le choc de toute une armée. Ses fortifications étaient un chef-d’œuvre du genre. Elle s’était creusé un fossé large de 4 mètres, entouré de chevaux de frise et de chaînes tendues sur des pieux ; au-delà de ce fossé s’élevait, lui formant une double ceinture, un parapet de glace d’un mètre de hauteur ; plus loin encore et en dernière ligne, on apercevait d’énormes trous-de-loup à peine reliés entre eux. Sur l’avant, l’endroit le plus accessible de la canonnière à cause de la forme particulière donnée à ces bâtimens, se dressaient quatre rangs de chevaux de frise protégeant un nouveau fossé triangulaire, puis à quelques pas des trous-de-loup des cercles de barriques scellés debout dans les glaces. Tous ces traîtres pièges ne laissaient point de place entre eux pour poser le pied ; cinq mille cinq cents piquets’ en bois de 0m35 de hauteur, plantés à 0m20 de distance, avaient complété ce barrage formidable. Je ne parle pas des filets d’abordage toujours tendus, ni des lingots de fer retenus dans les manœuvres, qui eussent rempli l’office de tuiles jetées sur l’ennemi, en admettant qu’il eût pu arriver jusque-là.

Et songer que tant de travaux ont été exécutés en pure perte ! Les équipages eurent beau interroger du regard les côtes ennemies, rien ne parut. Cependant la glace était solide ; elle le devint si bien,