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dans leur œuvre, et les affaires de ce monde ne s’en porteraient pas mieux. C’est donc à juste titre que les hommes illustres retardent la révélation de la vérité jusqu’au moment où ils sont à l’abri des vicissitudes de l’opinion ; mais cette révélation, ils nous la doivent alors tout entière : c’est l’expiation de leur propre gloire, Ils doivent au public cette confession suprême, cette humiliation de leur génie devant la vérité. Seulement cette confession doit être sans réticence, et doit avoir toute la sincérité des mourans. S’ils nous cachent une partie de la vérité, ils n’ont plus aucune excuse. À défaut de sincérité, l’amour de la gloire doit d’ailleurs les avertir qu’ils n’ont pas grand’chose à redouter de cette grave épreuve, dont ils sortiront moins purs peut-être, mais plus humains. Nous sommes de ceux qui pensent que Jean Jacques et Chateaubriand n’ont rien perdu à révéler toute la vérité, à montrer à nu toutes leurs haines, tous leurs vices. Ils ont tout dit, et après qu’ils ont eu fini leur confession, s’il nous a été permis de les moins vénérer, il nous a été impossible de les moins admirer, car les livres dans lesquels ils ont consigné leurs aveux sont de beaucoup les plus parfaits, les plus animés, les plus humains qu’ils aient écrits.

Nous savions d’avance, avant d’ouvrir la Biographie de Béranger, que nous ne devions nous attendre à aucune révélation de cette nature. Ce joli livre est le miroir fidèle du Béranger que nous connaissions depuis longtemps ; il faut nous résigner à n’en pas connaître d’autre. Ces deux cent cinquante pages sont un prodige de réserve, de prudence, de modestie et aussi d’habileté, car Béranger a trouvé le moyen de ne parler que de lui, et en même temps d’en parler aussi peu que possible. Il n’a voulu compromettre personne, et il a réussi. Dès la première page de cette Biographie, nous sommes avertis que nous ne devons compter sur aucune indiscrétion politique. « Préoccupé sans cesse et avant tout des intérêts de mon pays, j’ai été poussé sans doute à approfondir bien des questions d’ordre général ; homme de nature politique, j’ai pu donner mon avis dans des entreprises plus ou moins importantes : mais dans cette notice ne doivent trouver place que les faits qui me sont particuliers, faits de peu de valeur et souvent très vulgaires. Quant à la part d’influence que mes relations m’ont fait avoir dans la politique active, je m’en rapporte à ce que voudront en dire les historiens s’il s’en trouve qui soient tentés de la chercher dans les derniers événemens dont la France a été le théâtre. » Ainsi donc voilà tout le personnage politique rayé d’un trait de plume. Nous ne saurons rien de ce qu’il a fait et dit dans les conseils des partis ; nous en serons réduits, comme devant, aux conjectures sur la part qu’il a prise à la révolution de juillet et à la construction du gouvernement de 1830.