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avait danger à prolonger sa fuite ; soit que la balle eût sifflé à ses oreilles, soit qu’elle eût ricoché à ses pieds, il s’arrêta subitement et fit signe qu’il se rendait. Fière d’avoir rempli sa tâche avec tant de succès, l’escorte du conscrit russe, — car c’était un jeune homme de seize ans, — regagna le Vautour, où elle livra le prisonnier aux interrogatoires de l’interprète. On ne trouva sur lui aucuns papiers, mais ses déclarations tendirent à nous faire croire à des préparatifs hostiles. Quant à la résolution qui l’avait porté à traverser le liman, elle ne venait, disait-il, que de lui seul. Sa fuite devant nos hommes démentait cette assertion : il était fort présumable qu’il s’était débarrassé de papiers compromettans. Le même jour, un autre soldat russe fut pris aux abords des ouvrages avancés : même interrogatoire, même réponse.

Peu de temps auparavant, les timoniers nous annonçaient l’arrivée de plusieurs hommes partis d’Otchakof en parlementaires. Le commandant de Montaignac de Chauvance, se trouvant par le mouillage de la Dévastation le plus rapproché d’eux, ordonna à M. de Saint-Phalle ; lieutenant de vaisseau, d’aller, suivi de quatre marins, à la rencontre des Russes. Après une marche de vingt-cinq minutes par un froid de 22 degrés, M. de Saint-Phalle les rejoignit. Un officier russe, le saluant courtoisement, lui remit de la part de nos compatriotes, alors retenus prisonniers à Odessa, une lettre par laquelle ceux-ci faisaient connaître leur position et leurs besoins ; puis, sans plus de paroles, il salua de nouveau et se retira. Cet officier, d’une taille ordinaire, aux manières distinguées, parlait le français avec peu de facilité, cherchant ses expressions, bien qu’il n’eût que quelques mots à dire. Il était vêtu de la fameuse capote, qui ne diffère de celle du soldat par aucun signe bien visible, précaution prudente dictée à la Russie par une triste et longue expérience. Les soldats étaient de très beaux hommes au teint basané, à la moustache sévère, véritables types du grognard ; ils paraissaient avoir défié le sort des combats, tant ils étaient robustes et bien portans, et appartenir aux vaillans restes de la vieille armée qui avait si longtemps défendu Sébastopol.

L’hiver se décida enfin à user de toutes ses rigueurs ; le thermomètre baissa toujours : vers la fin de décembre, il était stationnaire à vingt-cinq degrés, et les blocs de glaces, sciés autour de la Dévastation pour dégager sa coque, avaient une épaisseur de 50 à 70 centimètres.


IV. — LES DISTRACTIONS DE L’HIVERNAGE.

Au milieu des épreuves sans nombre qu’avaient à supporter la division navale et la petite armée de Kinburn, le caractère français ne