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de la nuit, poser ces bouées aussi près que possible des forts, et de prendre des sondages sur sa route. M. de Montaignac de Chauvance, étant le plus ancien de grade des capitaines de frégate commandant les batteries flottantes, avait été chargé par l’amiral Bruat de guider la Tonnante et la Lave dans leur embossage. La mission qu’il donnait à M. de Raffin l’ordre d’accomplir était donc fort importante, puisqu’à l’aide des sondages exécutés il pouvait se rendre exactement compte de la distance à laquelle il était permis à ces bâtimens de prendre position.

Cette excursion me souriait ; elle m’apparaissait pleine d’émotions de toute sorte. Je jouissais par avance de l’étonnement de l’ennemi voyant au point du jour un long chapelet de bouées se balancer jusqu’au pied de ses murailles. Je ne résistai pas à la tentation d’accompagner M. de Raffin, et, sous le prétexte d’être son bras droit en prenant note des sondages qu’il ferait exécuter, je demandai à le suivre, ce qui me fut aussitôt accordé.

À minuit, le canot s’éloigna de la Dévastation La nuit était sombre, pas autant qu’il l’eût fallu cependant pour agir en toute sécurité. La hier ondulait légèrement, encore émue par les vents qui l’avaient agitée durant plusieurs jours. Le canot était monté par dix hommes, ayant pour patron Questel, matelot de première classe, aujourd’hui capitaine au long cours. M. de Raffin et moi, nous étions dans la chambre, retenant le compas de route entre nos jambes. Les bouées trouvaient place à l’avant et à l’arrière, et les fusils de l’équipage en travers sur les bancs.

Les premières sondes donnèrent trois fois plus de fond qu’il n’en fallait aux batteries flottantes ; mais plus nous approchions du rivage, plus la profondeur diminuait. Les hommes maniaient les rames avec une grande précaution, atténuant de leur mieux le bruit que produit la pelle des avirons en touchant l’eau. Les lueurs qui s’échappait du village incendié la veille éclairaient la côte, et notre patron pouvait ainsi gouverner plus directement. Au bout de vingt minutes à peu près, le murmure des lames roulant sur le sable nous avertit que nous n’étions pas éloignés. Nous vîmes se dresser devant nous les fortifications, qui se détachaient imperceptiblement du fond, aussi noir qu’elles, d’un ciel chargé de nuages. La première bouée fut posée par 10 pieds d’eau à l’extrémité nord de la forteresse. Jusqu’alors rien ne paraissait devoir nous inquiéter. Le canot vira de bord, et nous avançâmes vers le sud, parallèlement au fort. Après quelques coups d’aviron, M. de Raffin ordonna de s’arrêter, et une seconde bouée flotta derrière nous. À ce moment, nous remarquâmes une lumière qui s’agitait sur les parapets ; elle se promenait comme si elle eût suivi une ronde d’officier. Cette apparition