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main habile y avait sculptées avec un certain art. Ce grossier personnage, qui faisait profession de sainteté, continua de se livrer aux manifestations d’une joie bruyante en face de ces objets qu’un Européen ne pouvait regarder sans rougir ; puis il s’élança en gambadant comme un fou hors de l’enceinte, et en répétant avec des cris sauvages des vers qui devaient être le texte de ces inconcevables illustrations. En vérité, le singe occupé alors à croquer paisiblement une banane sur le dôme de la pagode ne me parut pas plus privé de raison que le gosaïn.


La transformation de Krichna en divinité suprême n’est donc qu’une invention brahmanique postérieure à la première rédaction du Mahâbhârata, et assez mal conçue dans son ensemble. D’une part, le personnage n’est pas à la hauteur du rôle que la secte veut lui prêter ; de l’autre, il se met en rapport si directement et si visiblement avec les hommes et les femmes de toutes les classes, il agit avec une liberté si complète vis-à-vis du culte ancien, que l’autorité brahmanique en est affaiblie. L’idée de l’égalité des créatures devant la Divinité se trouvait en germe dans la doctrine de l’union mystique de l’âme fidèle avec Dieu. Cette idée, à peine saisie par la plupart des sectaires et dénaturée par les ignorans, dut faire impression cependant sur certains esprits portés à réfléchir. Les prétentions ridicules des brahmanes, comme aussi la dissolution des mœurs, devenue générale, irritèrent et émurent des hommes sérieux qui savaient entendre le cri de la conscience au fond de leur âme. La nécessité d’une réforme se fit sentir à plusieurs, il est consolant de le penser ; toutefois cette réforme ne paraît pas avoir été entreprise avant le jour où Çâkya, fils de roi, se mit à la prêcher résolument, mais avec calme, sans aigreur, comme il convenait à un sage qui a plus à cœur de répandre ce qu’il croit être la vérité que d’attirer la haine et les persécutions sur ceux dont il combat les principes et les doctrines. Les enseignemens de Çâkya-Mouni ont eu une si grande influence sur la société indienne pendant douze siècles, qu’il est impossible de ne pas nous y arrêter. Ce ne seront pas les dogmes ni la partie philosophique de la doctrine bouddhique que nous étudierons après tant de philologues habiles et d’éminens écrivains, mais bien la naissance et les développemens extraordinaires de cette doctrine, et surtout son action profonde sur les populations qui n’avaient cessé d’obéir, durant une longue série de siècles, à la voix du brahmanisme.