Les batteries flottantes avaient reçu l’ordre de quitter la baie de Streleska pour rejoindre les escadres alliées dans la rade de Kamiésh. L’exécution de cet ordre devint l’occasion d’une véritable joute nautique, où chacun des trois bâtimens rivalisa d’empressement et de bon vouloir, sinon d’agilité. Si j’avais un conseil à donner aux organisateurs de certaines régates parisiennes, ce serait d’ajouter à leur programme une course de batteries flottantes. Quelques incidens de notre navigation de Streleska à Kamiésh feront juger de l’intérêt que pourrait offrir un pareil spectacle.
Voici d’abord la Tonnante. Elle a dépassé la pointe la plus avancée à l’ouverture de la baie de Streleska. Une roche, la tête hors de l’eau, lui a crié, comme un factionnaire vigilant : « Au large ! » et la Tonnante a bien voulu porter un peu plus loin sa formidable muraille de fonte, qui semble de taille cependant à faire reculer les rochers mêmes. Elle avance lentement, et n’en fait pas moins ce qu’elle peut pour dévorer l’espace. Chaque mouvement de l’hélice soulève un tourbillon d’écume, chaque coup de piston lance au ciel une svelte colonne de fumée qui s’échappe à intervalles réguliers