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qui est heureusement accompagnée surtout, puis un trio syllabique tout à fait dans le style de M. Auber, et le grand duo dramatique, trop dramatique, entre Hélène et son époux Tavannes, duo qui renferme quelques bonnes parties. Au troisième acte, on applaudit d’assez jolis couplets, que chante Mlle Faivre, et un chœur pour voix d’hommes, qu’on entend derrière les coulisses. Que M. Semet ne se décourage pas toutefois : il a du talent, et voilà que son nom s’est ébruité dans le public. Le reste viendra peut-être, car il ne faut qu’une bonne occasion pour s’inscrire en faux contre la critique la plus sévère. L’exécution de la Demoiselle d’honneur est assez bonne dans les ensembles. M. Balanqué serait un marquis de Mendoza parfait, s’il ne chantait pas faux de la plus mauvaise voix du monde. Une jeune personne, Mlle Marimon, s’est produite pour la première fois dans le rôle de la petite Reinette, qu’elle joue avec naturel. Élève de M. Duprez après avoir été dans la classe de Mme Damoreau, Mlle Marimon a une gentille petite voix de soprano aiguë qui manque un peu de timbre, si ce n’est de flexibilité. Mlle Marimon a été fort bien accueillie du public, et, si elle veut modérer son ambition et ne pas dépasser la mesure de ses forces, comme cela lui est arrivé déjà dans le grand air du troisième acte, elle peut devenir une cantatrice utile et agréable.

En fait de tentatives audacieuses, parlons un peu de celle de M. Gounod, qui n’a pas craint de se mesurer corps à corps avec le génie de Molière, non pas le génie de Molière réduit et accommodé pour les besoins de l’art musical, mais avec la prose même du Médecin malgré lui. Mozart, Paisiello, Rossini et tant d’autres ont bien eu la velléité de se faire tailler des libretti d’opéra dans les comédies de Beaumarchais ; mais je ne vois pas dans l’histoire un seul exemple d’un grand compositeur qui ait eu l’idée de prendre le texte même du Barbier de Séville ou du Mariage de Figaro, pour en faire le thème de ses propres inspirations. Pourquoi n’ont-ils pas osé faire ce qui a paru tout simple à M. Gounod ? Avons-nous changé les lois constitutives de l’art musical, comme Sganarelle prétend qu’on a changé la place du cœur ? Malgré tout ce qu’affirment les beaux esprits sur l’immense supériorité de notre siècle, je suis disposé à croire, avec le bonhomme Géronte, que nous avons le cœur juste à la même place où l’avait notre père Adam, et que l’art musical a des exigences qui veulent être respectées. Ce n’est pas à M. Gounod que j’apprendrai que la musique est avant tout une langue de sentiment ; qu’elle est une peinture libre de l’imagination, sans qu’aucun type extérieur l’oblige à une imitation matérielle trop prolongée. Ce que peut la musique dans ce genre d’onomatopées qui ravit les vaudevillistes est si peu de chose, si puéril, que ce n’est pas la peine d’en parler. Pour un ou deux effets sublimes qu’on trouve dans la Symphonie Pastorale de Beethoven, il y a dans les œuvres des compositeurs médiocres une foule de coucous, de cailles et de merles mal embouchés, indignes de la peine qu’on s’est donnée pour imiter leur ramage ridicule. Où sont-ils, les compositeurs de musique de piano qui, au commencement de ce siècle, faisaient des sonates sur la bataille de Marengo ou d’Austerlitz, comme ce pauvre Steibelt, qui était pourtant un homme de talent ? Il n’est plus question de ces pauvretés, qui faisaient les délices des grandes dames du consulat et de l’empire, tandis qu’on joue et