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c’est au moment où le chef des flibustiers se croyait le plus près du succès qu’il a été surpris par un événement imprévu. Un officier de la marine de l’Union, le commodore Paulding, voulant sans doute dégager la responsabilité morale et politique de son pays, est arrivé au lieu de débarquement ; il a jeté quelques forces à terre et a sommé Walker de se rendre, ce que celui-ci n’a pas manqué de faire, tout en protestant contre un tel acte de violence. Walker a été transporté à l’isthme de Panama, d’où il a été expédié aux États-Unis, et la seconde conquête du Nicaragua s’est trouvée ainsi subitement interrompue.

Ce dénoûment inattendu, déterminé par l’intervention sommaire des forces américaines, a causé quelque sensation aux États-Unis ; il soulevait surtout une question essentielle : le commodore Paulding avait-il agi en vertu d’instructions de son gouvernement ? On pouvait le penser d’après les termes sévères dont s’était servi M. Buchanan dans son dernier message pour flétrir ce genre d’entreprises. Il était à croire que l’acte énergique du commodore Paulding une fois accompli serait sanctionné à Washington. Il n’en a rien été ; c’est ici au contraire que l’affaire se complique. M. Buchanan, sommé en quelque sorte de s’expliquer, a parlé en effet : il a adressé un message au sénat, et ce message est assurément une des expressions les plus curieuses de la politique américaine. Le commodore Paulding est assez nettement désavoué. Il aurait eu le droit d’arrêter l’expédition en mer, il n’avait plus aucun titre pour aller chercher les flibustiers à terre, parce qu’il violait l’indépendance d’un état souverain. Qu’on remarque quelques-unes des singularités de cette situation. Il y a une flagrante violation de territoire tentée par des Américains ; le commodore eût été digne d’éloge s’il l’eût arrêtée avant qu’elle ne fût consommée, il est digne de blâme parce qu’il l’empêche de se prolonger. Un seul état, le Nicaragua aurait eu le droit de se plaindre de l’acte du chef de la marine fédérale ; il n’élève, il n’élèvera aucune plainte, et c’est le gouvernement des États-Unis qui se plaint. Il n’est pas difficile de voir que M. Buchanan substitue une théorie abstraite de droit international à une question de fait tranchée dans un intérêt commun. De plus, si le commodore Paulding est désavoué, quel est le traitement infligé à Walker ? Le général Walker, on le pense, n’a pas manqué de renouveler ses protestations contre l’acte illégal qui a si brusquement suspendu ses conquêtes. Il est allé à Washington, il a eu une entrevue avec le général Cass, secrétaire des affaires étrangères, puis tout a été dit. Arrêté un moment avant son expédition, il était aussitôt remis en liberté ; rentré aux États-Unis après sa tentative, il conserve sa liberté, et plus que jamais il proteste de son intention de poursuivre ses desseins, de telle sorte qu’il est très permis de se demander où est la sanction réelle des déclarations de M. Buchanan en faveur de l’exécution des lois de neutralité de l’Union américaine, puisque ceux qui violent ces lois sont à l’abri de toute poursuite après comme avant. Tout ce qu’on peut voir en ceci, c’est le désaveu du commodore Paulding, qui a voulu maintenir dans toute sa force la neutralité américaine, fût-ce en risquant une légère violation de territoire suffisamment justifiée par les circonstances, et dont le Nicaragua ne peut que lui savoir gré.

Il est enfin dans le message de M. Buchanan une dernière pensée qu’il faut recueillir. Que dit à peu près le président des États-Unis ? Walker est