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dant. Le général Armero et M. Mon n’en étaient pas à prévoir qu’ils pouvaient rencontrer des obstacles dans le parlement, et ils s’étaient préparés à les vaincre ; ils comptaient surtout les déjouer par la dissolution du congrès. Cette mesure a été effectivement proposée à la reine aussitôt après l’élection de M. Bravo Murillo, et, ce qui est mieux, elle a été signée. Que s’est-il passé depuis ce moment ? Le général Armero, en se rendant peu après au palais, n’a point tardé, dit-on, à reconnaître, à la suite d’une entrevue avec le roi, que, même en dissolvant le congrès, il trouverait ailleurs des difficultés d’une autre nature, et que son ministère ne vivrait que d’une vie précaire, toujours disputée. Il a préféré remettre à la reine le décret de dissolution et se retirer immédiatement. C’est de là qu’est né le ministère présidé par M. Isturitz. Par malheur, M. Isturitz est un homme âgé, fatigué dans la politique, et dont les forces seraient sans doute peu à la hauteur d’une complication sérieuse. Ses collègues n’ont point figuré jusqu’ici aux premiers rangs de la politique ; ce sont d’anciens gouverneurs de provinces ou des directeurs de ministères. La reine a préféré peut-être un cabinet ainsi constitué pour n’avoir point à subir la loi de la coalition parlementaire. La majorité du congrès, à son tour, se montre disposée à soutenir le nouveau ministère, ou du moins n’a pas ouvert la guerre contre lui, parce qu’il lui suffit pour le moment d’avoir renversé celui qui existait. Que faut-il pour décomposer cette situation et faire surgir d’autres combinaisons ? Il ne faut peut-être qu’une explication parlementaire où se décèlent les antipathies, un effort des ambitions rivales, un incident imprévu. Faible par lui-même, le ministère n’est pas plus fort par l’appui incertain que lui offrent les chambres ; mais, en dehors ou au-dessus de ces détails où se perd la politique, et en sondant l’état actuel de l’Espagne, il y a un fait qu’on ne peut éluder, parce qu’il est évidemment la première cause et la source de toutes ces complications confuses et bizarres.

Le parti modéré a gouverné pendant longtemps l’Espagne avec suite et avec succès. Depuis quelques années, il est visiblement en proie à un travail indéfinissable qui lui a déjà valu un désastre, et qui l’affaiblit sans cesse. Ses organes proclament l’union du parti, et à chaque instant les divisions éclatent. Les plus sincères reconnaissent la nécessité d’un ralliement énergique, et tous les ministères sont successivement renversés. On a vu ce qui est arrivé avant la révolution de 1854. Le général Narvaez était d’abord au pouvoir ; une opposition se formait contre lui et finissait par amener sa chute. M. Bravo Murillo prenait la direction des affaires, et bientôt il succombait sous les coups d’une formidable coalition libérale, organisée contre des projets de réformes politiques que ses adversaires ont depuis réalisés partiellement. Trois ou quatre ministères se succédaient, et l’Espagne glissait dans le désordre et l’anarchie. Depuis que la révolution de 1854 a disparu, que voyez-vous ? C’est la même histoire qui recommence. Le général Narvaez est revenu au ministère, et il a eu une peine extrême à durer un an au milieu de tous les tiraillemens d’une politique assez incohérente. Le ministère du général Armero avait de justes et droites intentions ; il comptait dans son sein M. Mon, qui ne passe pas pour un conservateur suspect ; il vient de tomber néanmoins, et M. Bravo Murillo, renversé il y a cinq ans par une coalition, est réélu président des cortès par une autre coalition, où entrent des hommes