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il inspire la répulsion, et le spectateur se demande comment la pauvre Clara a pu aimer un être aussi misérable. Dans chacune de ces paroles, on sent palpiter l’égoïsme et le néant moral. Ce personnage, qu’on pourrait définir l’amant sans cœur, a été bien saisi et bien peint par M. Dumas, qui excelle d’ailleurs à rendre ces types mondains qui sont composés d’égoïsme, de sécheresse et de politesse ; il nous suffira de rappeler au lecteur le mari dans Diane de Lys. Charles Sternay, qui va se marier, a recours au mensonge pour se débarrasser de Clara ; il est ruiné, dit-il, forcé de s’expatrier pour se refaire une fortune. La scène de la séparation est belle et poignante au possible. Il n’y a dans le langage de Clara rien qui s’élève au-dessus du langage ordinaire d’une grisette qui aime ; mais tous les mots de cette douleur naïve portent coup, et trouvent un écho dans le cœur du spectateur.

Entre le premier et le second acte, vingt-trois ans s’écoulent, et le rideau se lève sur une scène d’amour entre M. Jacques de Boiscenis, le fils de Clara Vignot, qui vit heureux et insouciant, ignorant qu’il est du secret de sa naissance, et Mlle Hermine, la propre nièce de Charles Sternay, qui maintenant grisonne et se sent des velléités d’ambition politique. Il y a quelques jolies notes dans ce ramage des deux amoureux, et nous en félicitons d’autant plus sérieusement M. Dumas que jusqu’à présent il n’a pas eu l’art l’exprimer les passions naïves et pures. Il a encore des progrès à faire cependant ; si dans ce duo il y a quelques jolies notes, il y en a bien aussi quelques-unes de fausses. Ainsi je n’aime pas que Jacques déroule devant l’esprit d’Hermine les perspectives de la vieillesse et de la mort, et qu’il lui fasse entrevoir dans le lointain son rôle de grand’mère. M. Dumas devrait savoir que l’idée de la vieillesse et de la mort, qui est odieuse aux jeunes gens en général, l’est surtout aux jeunes amoureux, qui refusent de croire à autre chose qu’à l’éternité du bonheur, de la jeunesse et de la beauté. Quoi qu’il en soit, il faut savoir gré à M. Dumas de cette scène, car avec lui on ne reste pas longtemps sur le terrain des sentimens honnêtes et on glisse aisément dans le bourbier des passions coupables. Il ne serait pas content, s’il ne logeait pas dans quelque petit coin de son drame quelque incident désagréable propre à reporter la pensée vers ces passions qui lui ont valu ses anciens succès. On ne peut expliquer que par une manie irrésistible de l’auteur la scène où Mme Sternay fait ses confidences à Jacques. Mme Sternay, qui n’a pas aimé son mari d’un amour bien ardent, a cherché ailleurs des compensations ; elle est arrivée au terme prévu d’une de ses aventures galantes, et il ne lui reste plus, pour employer son langage qu’à poser les scellés sur un amour défunt. Et qui choisit-elle pour constater ce décès, redemander les lettres écrites, les portraits échangés ? Jacques,