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en un mot à la Bourse, essayons de calculer la somme des capitaux jetés dans ce gouffre, abandonnés en pâture à ce monstre de la spéculation ; comparons surtout, car c’est là le point, essentiel, le nombre de ses victimes à différentes époques, et voyons s’il est vrai, comme on l’a prétendu, que toute activité soit détournée du travail pour aboutir au jeu, tout capital enlevé aux entreprises industrielles pour être porté à la Bourse.

Pour faire à cet égard une comparaison utile, il n’est pas besoin de remonter à la régence et aux époques troublées dont le désordre n’a jamais constitué, qu’un mal passager ; il ne faut pas non plus prendre pour type un état social différent du régime moderne, lequel prévaudra, quoi qu’on fasse. En cherchant dans une période de vingt années un temps que n’agitaient ni les questions politiques, ni les brusques mouvemens du commerce et de l’industrie, des années de vie régulière, en un mot, on ne pourra être accusé d’opposer au présent, si décrié, un tableau qui n’en fasse pas ressortir avec évidence les excès et les fautes. En 1835, 1836 et 1837, la question politique semblait résolue, le mouvement industriel n’avait pas encore pris des développemens exagérés, la spéculation enfin semblait devoir être restreinte dans de justes limites. C’était le règne du cens territorial, de la propriété foncière, qui atteignait ses plus hauts prix, et personne à ce moment, pas même ceux qui s’en sont fait depuis une si cruelle arme de guerre, ne songeait à reprocher à la société de se précipiter en aveugle dans la voie des entreprises matérielles, et au pouvoir de la corrompre pour l’asservir. On prêchait tout le contraire alors, et on ne disait point que la Bourse était le cœur de la France. Entre ces années 1835, 1836, 1837 et les années 1855, 1856 et 1857, la différence pourtant est bien moins grande que l’on ne se l’imagine, et la spéculation n’a pas fait d’aussi rapides progrès qu’on le croit et qu’on le dit. À cet égard, les chiffres sont concluans.

Commençons par supposer que toutes les transactions opérées à la Bourse de Paris sont affaires de spéculation et de jeu, et comparons les deux époques. La compagnie des agens de change a introduit dans son organisation intérieure une disposition qui permet de faire cet examen avec toute exactitude. Lorsque deux agens ont arrêté entre eux une négociation à terme, ferme ou à prime (voilà bien la spéculation prise sur le fait), ils échangent le lendemain même un double engagement qui constate l’achat et la vente. Ces engagemens sont revêtus d’un timbre, non du timbre de l’état, mais d’un timbre spécial émanant du syndicat des agens de change, et qui se paie 2 fr. 50 cent, pour tout marché de 1,500 fr. de rentes 3 pour 100, et 1 fr. 25 cent, pour tout marché de vingt-cinq actions