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et sans vouloir nier des facultés que M. Decamps n’a pas eu l’occasion d’exercer, ceux de ses ouvrages qui se rapportent à la peinture de style sont très remarquables, et dignes de ce qu’on pouvait attendre de son talent. Ils ne sont pas nombreux, et je les nommerai presque tous.

Le Supplice des Crochets est un des plus célèbres parmi les ouvrages dont la place est marquée dans ce groupe. Au premier abord, l’aspect de ce tableau n’est pas agréable. Il est peint dans des tons rouges, durs et heurtés, qui n’ont rien de séduisant ; mais l’excellent sentiment du dessin, l’énergie des expressions, le saisissement que cause cette scène d’horreur, rachètent bien ces imperfections. La manière dont le sujet est compris rappelle en quelques points les traditions de la peinture de genre. La scène principale n’est pas au premier plan, et l’unité, la simplicité de l’impression résultent bien plus des sentimens exprimés par les spectateurs groupés au bas de la toile que du supplice lui-même. Le tableau est occupé au second plan, dans presque toute sa largeur, par la muraille extérieure d’une ville d’Asie. On aperçoit sur le haut du bastion les exécuteurs qui précipitent les condamnés ; l’un de ceux-ci est déjà suspendu aux crochets, et son corps se balance contre la muraille, vivement éclairée. La foule terrifiée, repoussée par les janissaires, contemple avec la stupidité ou la résignation orientale cette horrible exécution. Quelques personnages, parens ou amis des victimes, se désespèrent. La donnée de ce tableau étant admise, il faut convenir que M. Decamps a atteint son but, qui était d’émouvoir violemment.

La Défaite des Cimbres par Marins excita, lorsqu’elle fut exposée au salon de 1834, beaucoup de scandale et des admirations enthousiastes. Aujourd’hui toutes ces passions sont bien calmées, et on en pourrait dire le plus grand bien ou le plus grand mal sans s’exposer à être lapidé. Cette grande esquisse peinte est d’un effet très dramatique, elle produit une vive impression d’ensemble, mais il n’y faut pas chercher un sujet principal auquel l’esprit puisse s’attacher. La bataille est dans l’air, dans le ciel, dans l’aspect des terrains dévastés, autant au moins que dans les groupes des combattans. Les personnages, qui sont innombrables, mais de très petite dimension, et perdus dans la couleur sombre du tableau, ne suffisent pas pour expliquer l’action. Les amateurs de stratégie ne trouveront pas là leur compte, et à cet égard la moindre toile de M. Vernet ferait beaucoup mieux leur affaire. Cependant on sent que la bataille a été terrible, acharnée, et que la déroute est complète. Les longues files de fuyards, les femmes, les enfans, les chariots, se pressent sur le premier plan. De nouvelles bandes surgissent de tous les plis de terrain ; des cavaliers demi-nus font un retour offensif contre les Romains vainqueurs, mais on voit déjà que rien ne