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autrefois tiré parti de l’idée la plus saugrenue, si l’on m’eût accordé une salle quelconque. Ce que j’eusse produit eût été fort attaquable, j’en conviens ; enfin, organisé d’une manière particulière, ce que j’eusse produit fût un peu sorti de ce système de plafonnage usité… Mais bah ! avec la prétention de marcher à la tête de tout progrès, nous sommes peut-être le peuple le plus routinier de la terre. Sans me mettre au niveau de cet excellent artiste, j’eus le sort de Barye. Ce génie piquant et original, aux aptitudes et études spéciales, qui eût décoré nos places de monumens uniques dans le monde, se trouva trop heureux de pouvoir formuler ses idées dans les proportions d’un surtout d’un usage impossible, et finalement il est triste de constater qu’un talent qui seul peut-être eût pu doter son pays d’un monument vraiment original se vit réduit à la fabrication de serre-papiers[1]. Quant à moi, j’ai la conviction que la nécessité où je me suis trouvé de ne produire que des tableaux de chevalet m’a totalement détourné de ma voie naturelle… Le mot de l’énigme est qu’il fallait demander, solliciter, se faire appuyer : toutes manœuvres pour lesquelles je n’avais nulle aptitude, non par orgueil, comme on pourrait le supposer, mais par une sorte de honte et de répugnance tout à fait insurmontables. »

Ces observations paraissent fondées à bien des égards. M. Decamps entend l’effet comme personne, et la bonne entente de l’effet est la condition essentielle de la peinture murale. Il eût sans doute été intéressant de voir un homme aussi habile développer et parfaire les belles compositions dont nous n’avons que les cartons. Cependant la peinture murale a des difficultés particulières que M. Decamps, avec les ressources d’esprit que nous lui connaissons, eût tournées certainement, mais qu’il n’eût pas, je crois, surmontées. Tous les décorateurs, aussi bien Ghirlandajo que les Vénitiens et Raphaël, sont d’excellens dessinateurs, et le dessin de M. Decamps, qui a de très belles qualités, n’est point parfait. Ils peignent dans une gamme claire, vive, légère, qui me paraît être une des nécessités de ce genre ; M. Decamps a presque toujours employé une gamme sombre et un clair-obscur surchargé. Enfin, dans la peinture murale plus que dans toute autre, les détails doivent être sacrifiés, subordonnés aux masses, et, à cet égard encore, la peinture de genre est un mauvais antécédent pour les décorations. Quoi qu’il en soit,

  1. Ceci n’est plus tout à fait exact aujourd’hui. M. Barye a été chargé de deux groupes importans dans la décoration du nouveau Louvre. Malheureusement ces groupes, d’ailleurs en pierre tendre, sont trop éloignés, et on ne peut guère les juger. Le regret qu’exprime M. Decamps est donc encore de saison. J’ajoute que le musée du Luxembourg ne possède pas un seul tableau de M. Decamps. Cette galerie est la pépinière du Louvre. Il faudrait pourtant y songer. Il arrivera pour M. Decamps ce qui est arrivé pour Marilhat, dont les bons tableaux sont aujourd’hui introuvables et hors de prix.