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penchés jusque près de l’eau en s’efforçant de retirer leurs filets, laissent toute la place au Christ, seul debout, et qui se détache sur le fond clair et chaud du tableau. Sans trop insister sur les tours de force et sur les difficultés vaincues, qui intéressent les artistes plus que le public, il est bon de faire remarquer le cheval blanc du premier cavalier, qui, tout en étant du même ton et de même valeur que l’eau du lac, s’en détache cependant avec une netteté parfaite.

Dans le Moïse sauvé, les caractères qui distinguent la peinture historique sont encore mieux marqués que dans la Pêche miraculeuse. Le paysage est splendide, mais il est disposé de manière à ramener et à concentrer l’attention sur le groupe principal, si bien que, malgré son importance, on ne le voit qu’après coup et par réflexion. La berge du fleuve, haute et rocheuse, est dans l’ombre. Les seconds plans à droite et à gauche sont également obscurs. Toute la lumière est portée sur le groupe des jeunes filles, nobles, élégantes, admirablement disposées, et qui sont parmi les meilleures figures de M. Decamps. La fille de Pharaon en particulier, vêtue de blanc et inclinée pour recevoir l’enfant, est d’une jeunesse et d’une poésie charmantes. Le fond montagneux, éclairé d’une lumière matinale et tranquille, est une des plus belles conceptions qu’on puisse imaginer. Ce tableau, d’une excellente composition, d’un dessin large et correct, d’une couleur presque parfaite, est un véritable joyau. On pourrait lui reprocher quelque chose de cerné et de trop marqué dans les contours ; mais j’éprouve vraiment quelque honte à relever d’aussi légères imperfections dans ce gracieux et admirable ouvrage.

C’est plus que jamais en parlant des ouvrages de style de M. Decamps qu’il est nécessaire de rappeler qu’un talent aussi original, qui s’est développé dans des conditions toutes spéciales, ne peut être jugé qu’en lui-même, et sans tenir compte des préférences personnelles, des traditions ou des systèmes. M. Decamps n’a point appris son art dans les écoles ; il combattait avec son crayon à l’âge où d’autres dessinent d’après l’antique ou le modèle, forment et développent leur goût par des études régulières. Il a parlé patois dans son enfance, et si sa langue est éloquente, elle n’est ni toujours élégante, ni toujours correcte. Sa voix a su trouver des accens magiques, qui émeuvent et qui passionnent ; mais elle a gardé des bégaiemens et l’accent du terroir. M. Decamps a reçu des maîtres tout ce qu’une étude intelligente et obstinée, mais irrégulière et tardive, peut donner. Il sait par cœur Rembrandt, Murillo, Poussin et les autres. Cependant, préoccupé à l’origine des questions relatives au métier, attiré par un goût décidé vers le pittoresque, s’arrêtant volontiers au détail et à l’anecdote, aimant non-seulement la beauté,