Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/671

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par Dominiquin, les deux Poussin et Claude Lorrain. Plus tard les petits maîtres flamands s’illustrèrent dans le paysage de genre, et y apportèrent la précision du dessin, l’entente du clair-obscur, la merveilleuse couleur qui distinguent tous leurs ouvrages. Paul Potter, Rubens, Rembrandt, Ruysdael, ont également laissé des paysages marqués au coin du génie. Quant aux peintres de genre du XVIIIe siècle français, à l’exception de Joseph Vernet, ils ne paraissent avoir vu la nature qu’à l’Opéra.

C’est à Jean-Jacques Rousseau que notre temps doit une intuition plus complète, plus intime du monde extérieur, une admiration passionnée et un peu maladive pour la nature. L’auteur des Rêveries et des Lettres à M. de Malesherbes montra le premier, avec une force et une éloquence sublimes, la concordance qui existe entre elle et l’homme, le soulagement et la volupté qu’éprouve l’âme à se plonger dans le sein de cette mère bienfaisante, à lui confier comme à une amie ses anxiétés et ses tourmens. Rousseau avait devancé son temps, et c’est au mal dont son cœur et son esprit étaient atteints que nous devons cette révélation précoce d’un sentiment qui n’avait pas sa place au milieu des idées qui régnaient à la fin du XVIIIe siècle. Aussi ces grandes aspirations furent-elles bientôt abandonnées pour ne reparaître que de nos jours. Notre temps les a reçues et reprises avec passion. Lorsque les idées fortes et généreuses ne portent plus, que les événemens humains sont tels qu’ils ne donnent envie ni de les voir, ni de les peindre, l’esprit attristé se plonge avec délices dans cette source, qui reflète vaguement, mais non sans justesse, nos sentimens et nos passions. Il y aurait sans doute mieux à faire ; mais c’est ce découragement avoué ou secret qui, en nous portant vers la contemplation de la nature, a dicté les œuvres d’art les plus nombreuses, les mieux senties, et, à bien des égards, les plus caractéristiques de notre âge.

Quoique M. Decamps ait les aptitudes les plus diverses, quoiqu’il ait réussi dans tous les genres où il s’est essayé, on ne peut regarder ses caricatures, ses petits sujets lithographies, ses travestissemens, et même le plus grand nombre de ses tableaux de genre, que comme la monnaie courante, les distractions de talent d’un homme qui a mieux et autre chose à dire. Ce mieux, cette autre chose, on le retrouve, il est vrai, du plus au moins dans tous ses ouvrages. C’est un accent de grandeur et de mélancolie qui se mêle à toutes ses impressions, un sentiment très vif de certaines beautés, un goût qui n’est pas toujours pur, mais qui n’est jamais commun, l’art de s’approprier tous les objets qu’il représente, de les marquer d’un sceau personnel, original, qui en fait de véritables créations. C’est par là bien plus que par ses procédés, où l’on a voulu voir une révolution,