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l’autre. L’abordage de la Dévastation et de son remorqueur n’entraîna heureusement aucune de ces terribles conséquences.

Sur le signal donné par l’Albatros, la Dévastation avait levé ses ancres, et, filant gravement ses quatre nœuds, s’était engagée seule dans la passe, laissant là frégate mouillée au fond du port d’Alger. En marine, la discipline veut que, de deux officiers supérieurs, ce soit le plus ancien, — à grade égal, — qui commande à l’autre, Le commandant d’un bâtiment remorqué peut donc ne pas être à l’entière disposition du commandant du bâtiment remorqueur, quoique, par le fait, ce soit ce dernier qui paraisse supporter tout le fardeau de sa mission. Le commandant de la frégate, plus ancien que M. de Montaignac de Chauvance, lui transmettait ses ordres.

La Dévastation franchit assez rapidement la distance qui la séparait de la pleine mer. L’entrée du port d’Alger est large et vaste. Nous en étions déjà fort éloignés, le soleil s’était caché derrière l’horizon, que l’Albatros ne paraissait pas encore. Nous marchions toujours. L’amiral commandant supérieur de la marine à Alger se trouvait à notre bord. Il avait voulu voir par lui-même comment gouvernait ce bâtiment, si intéressant au point de vue maritime. Il l’avait visité dans chacun de ses détails, et, pour compléter cette étude, il nous avait accompagnés. Une belle baleinière, blanche comme une mouette, nous suivait toujours, attendant l’amiral, qui, lui aussi, attendait qu’il plût à notre cicérone de venir nous mettre définitivement en route.

Enfin l’Albatros parut. M. de Montaignac de Chauvance donna l’ordre de stopper, et la Dévastation, aussi paresseuse qu’une batterie flottante, s’arrêta presque instantanément. S’il est vrai que les véloces élans de la tortue ne l’ont jamais fait culbuter, nous pouvions comme elle, sous ce rapport, jouir d’une tranquillité parfaite. Nous étions sûrs de ne point arriver sur un écueil sans l’avoir aperçu quelques heures à l’avance. L’Albatros gouverna pour passer tribord à nous, — qu’on nous permette cette expression maritime[1], — légère et gracieuse comme une dryade, — car c’est une élégante et majestueuse frégate. — Elle glissait si vite et avec tant d’aisance, qu’on eût dit qu’une puissance invisible ouvrait les eaux sur son chemin et lui traçait un passage. Elle arriva de la sorte si près de nous, que nous eussions pu converser avec les officiers postés à son avant. La manœuvre était hardie, et si elle eût réussi, elle plaçait d’un seul coup les deux bâtimens dans une position favorable, l’un pour donner les remorques, l’autre pour les recevoir. Malheureusement un faux coup de barre, dont les timoniers auront sans doute fait plus tard leur mea culpa, changea subitement la direction de la frégate.

  1. Passer à notre droite.