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l’ennemi. Quant à la traversée, elle devait s’effectuer toujours à la remorque d’une frégate ou d’un vaisseau, les batteries flottantes ne pouvant, à cause de leur construction particulière, tenir seules la mer.

La Dévastation était depuis quelques semaines mouillée dans la rade de Cherbourg, rendant matin et soir les honneurs militaires au drapeau de la France ; matin et soir aussi, ses canots, montés par d’athlétiques rameurs, portant à leur chapeau son terrible nom, venaient prendre ou conduire aux cales du bassin du commerce l’état-major et le commandant. Une décision ministérielle du 4 juin 1855 avait assimilé la batterie flottante la Dévastation à une frégate de troisième rang. Cette décision fixait en même temps l’effectif de l’équipage[1], — effectif spécial à ces sortes de bâtimens, — à deux cent quatre-vingts hommes, commandant et état-major compris. Quarante tirailleurs d’infanterie de marine devaient augmenter ce chiffre sur le lieu du combat et le porter à trois cent vingt hommes. Le but qu’on se proposait en embarquant des tirailleurs était celui-ci : les établir sur une galerie extérieure au bâtiment, du côté, — cela va sans dire, — opposé à l’action. Munis de carabines à tige, ces soldats devaient tirer au-dessus du pont, rendu complètement ras, débarrassé même de ses bastingages, et s’efforcer d’enlever aux Russes leurs servans ou chefs de pièces. Le commandement de la Dévastation était confié à M. de Montaignac de Chauvance, capitaine de frégate. L’état-major, laissé entièrement au choix du commandant, — contrairement à l’usage établi, — se composait d’un lieutenant de vaisseau, second, M. Dutemple, de deux lieutenans de vaisseau, MM. de Saint-Phalle et Testu de Balincourt, d’un enseigne, M. Raffin, et de deux chirurgiens, MM. Couffon et Beuzelin. J’étais moi-même attaché à cet état-major en qualité d’officier d’administration.

Le remorqueur de la Dévastation était à son poste. À plusieurs mètres derrière la Dévastation, une frégate aux formes élégantes, ayant deux immenses tambours blancs, qui attestaient la puissance de ses roues, paraissait déjà suivre celle-ci d’un œil paternel dans les évolutions que, sous l’action capricieuse des vents, elle faisait sur ses ancres. Cette frégate s’appelait l’Albatros. Elle était chargée de la délicate et difficile mission de conduire une batterie flottante sur le chemin des combats. Mais pourquoi les deux bâtimens

  1. Cet effectif se décomposait ainsi : 2 premiers maîtres de canonnage, 1 premier maître mécanicien, 2 contre-maîtres, 1 maître, 6 ouvriers chauffeurs, 6 matelots chauffeurs, 20 seconds maîtres, quartiers-maîtres et fourriers, 32 matelots canonnière brevetés, 24 gabiers, 128 matelots de choix, des trois classes, 39 apprentis marins, 1 armurier, 8 surnuméraires (agens de vivres, etc.), 2 infirmiers.