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dreaux, trophées sanguinaires et succulens de la journée, reposaient à terre sous la garde de Laverdure, qui, réconcilié avec les deux anglais, partageait fraternellement avec eux un morceau de pain bis tout frais tiré de sa carnassière. Enfin, pour parfaire le tableau, nous devons parler d’un phaéton de chasse vert attelé de deux forts chevaux, et d’un double poney sellé et bridé tout prêts à reconduire les chasseurs au château.

— Eh bien? dit Marmande à l’un des gardes qui s’avançait au pas accéléré.

— Pas la moindre trace de M. Cassius ou de son chien, reprit le serviteur en essuyant du revers de sa main l’eau dont son front était inondé.

— Diable, repartit le comte, voici qui commence à devenir inquiétant. Que dites-vous de tout ceci, mon cher monsieur de Laluzerte? ne sentez-vous pas, comme moi, votre estomac crier famine?

— Je ne saurais le dissimuler, reprit le vieux chasseur, et bien certainement, si j’étais le maître ici, l’on n’attendrait pas cinq minutes de plus M. Cassius.

— Vous êtes sévère, car le malheureux pourrait bien alors coucher dans les champs, et pour lui épargner cette extrémité, je propose une dernière fois d’envoyer à sa recherche. Robert, continua le comte apostrophant son ami, tu peux encore tenir sur tes jambes, et j’envie ton bonheur, car les miennes refusent le service; si tu étais bien aimable, tu monterais le poney et tâcherais de découvrir M. Cassius.

— Volontiers, reprit Kervey, trop heureux de trouver une occasion de s’arracher à de pénibles méditations, et, enfourchant le poney, il s’élança à la recherche du chasseur égaré.

L’infortuné Cassius n’avait échappé à aucune des mésaventures qu’un chien indompté peut procurer à son maître. Acharné à la poursuite de Jove, qui continuait sa course avec un jarret d’acier, le chasseur, nouveau Tantale, avait vu lièvres et perdreaux s’enfuir devant lui hors de portée. De plus, le malicieux setter s’était dirigé dans un sens opposé au rendez-vous de chasse, et avait entraîné son maître vers les extrémités les plus éloignées des propriétés du comte. Le soleil marchait rapidement à son déclin, lorsque, hasard, remords ou tout autre motif, Jove, changeant subitement de voie, prit, à la plus grande satisfaction de son maître, la route du rendez-vous de chasse. Le jarret flageolant, la voix éteinte, s’aidant de son fusil en guise de canne, M. Cassius maudissait ses penchans aux plaisirs du sport, lorsque soudain son front s’éclaircit et un rayon d’espérance traversa son cœur. Jove dessinait un magnifique arrêt à quelques pas d’un tas de blé. À ce spectacle, les forces du chasseur se ranimèrent, et en deux enjambées il eut rejoint Jove,