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la Coquette pour vous dire ce que je pense de vos amis, pour savoir ce que vous pensez des miens...

— Mademoiselle Anna,... Interrompit l’officier.

— Je vous écoute, reprit la jeune fille avec un air de sang-froid qui n’était pas dénué d’intention moqueuse.

— Eh bien ! oui, reprit le marin, excité par cette innocente raillerie comme le cheval impétueux par le froid de l’éperon, il vaut mieux en finir aujourd’hui, plus tôt que plus tard. Mademoiselle Anna,... répéta-t-il pour la cinquième fois.

— Voyons, qu’avez-vous donc de si terrible à me dire? Ne suis-je plus votre amie, votre confidente? dit Anna, qui accompagna ces paroles d’un sourire plein de bonté, car l’angoisse mortelle du marin n’échappait pas à sa sagacité.

— Mademoiselle Anna, reprit l’officier, j’ai vingt-sept ans, je suis enseigne de vaisseau, j’ai cent mille francs à moi; tout cela est peu brillant, mais je vous aime et suis sûr de faire un bon mari. Voulez-vous remettre entre mes mains le soin de votre avenir, de votre bonheur?

À ces paroles, dont la franchise toute maritime eût suffi pour révolter la douairière la moins susceptible en fait d’étiquette matrimoniale, la jeune fille se sentit tout émue, une vive rougeur colora son front, son cœur battit avec violence, et sa voix tremblante murmura quelques mots qui vinrent expirer sur ses lèvres; mais dans la surexcitation du moment ce trouble échappa à l’attention de Kervey, et il poursuivit : — Anna, depuis que je vous connais, vous aimer, être aimé de vous, a été le rêve et le but de ma vie. Aujourd’hui, à ce jour solennel qui verra se briser peut-être mes plus chères espérances, je me sens la force de vous ouvrir mon cœur, de vous faire lire au plus profond de mon âme. Voulez-vous être ma femme, une femme adorée, dites, le voulez-vous? C’est un bonheur discret et modeste que je vous offre, un cœur loyal que je mets à vos pieds. — Il continua après une pause : — Oh! je le sais, je ne suis pas un brillant parti! A vous, digne d’un trône, je demande de devenir la compagne d’un pauvre officier subalterne. Et cependant, je puis le dire avec la confiance d’un honnête homme, sûr de moi, vous connaissant comme je vous connais, c’est le bonheur que je vous offre. Aimé de vous, votre mari, ma vie entière vous appartient, vous pouvez ordonner, disposer de mon sort; pour vous plaire, tout me sera possible. Trouvez-vous le bonheur dans une existence modeste, eh bien! nous vivrons contens de notre peu, mettant au-dessus des plaisirs de l’opulence notre bonheur intime, nos joies du ménage de chaque jour, de chaque instant! Ambitieuse au contraire, désirez-vous les grandeurs, soutenu par votre amour, je me sens la