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redoublait le pas pour suivre les deux jeunes gens, quand une petite paysanne de treize à quatorze ans, au nez retroussé, aux joues roses, à l’œil mutin, lui barra le passage avec une gracieuse révérence, en disant d’une voix argentine : — Bonsoir, mon parrain.

— Et d’où sors-tu, Verdurette? de la danse sans doute, mauvais sujet? dit le baron, qui caressa le menton de l’enfant d’un geste tout plein de douce familiarité.

— Oui, mon parrain, j’ai déjà dansé dix-sept quadrilles, et ne veux m’arrêter qu’après avoir complété le quarteron, reprit Verdurette.

— Alors je te saisis au vol pour te donner le petit cadeau que j’ai été chercher hier à Compiègne à l’occasion de ta fête. — Et le baron glissa dans la main de sa filleule une boîte de carton rose que cette dernière ouvrit d’un brusque mouvement, où le sang d’Eve se trahissait au premier degré. La boîte contenait une croix d’or et des boucles d’oreilles mollement étendues sur une couche de ouate. Verdurette contemplait ces objets d’un œil rayonnant de plaisir, lorsque les préludes de la contredanse retentirent au loin. Il y eut lutte alors dans le cœur de l’enfant entre les devoirs de la reconnaissance et les joies du quadrille; mais, devons-nous le dire, cette lutte ne dura qu’un instant. En signe de remerciement et d’adieu, la jeune fille appuya ses doigts sur ses lèvres, qui murmurèrent un gros baiser, et s’enfuit à toutes jambes vers la salle du bal. Le baron ne s’offensa point de cette apparente ingratitude, et sa figure ne trahissait que de douces émotions lorsqu’il rejoignit la compagnie.

La bande des invités du château, après avoir parcouru la fête en tous ses détails, se trouvait réunie à la porte d’un Nostradamus forain, qui se chargeait de révéler à chacun sa destinée en échange d’une modique redevance de vingt-cinq centimes. L’offre était trop tentante pour que Marmande et les siens pussent y résister.

Le sorcier était un petit homme à figure moitié sage, moitié folle, revêtu d’un costume de magicien, dont le chapeau classique s’élevait en pain de sucre sur sa tête. La pauvreté du temple annonçait, il faut bien l’avouer, la tiédeur et la parcimonie des fidèles. En guise de trépied d’or, l’oracle trônait sur un fauteuil assez mal rembourré, assisté d’un côté par un crocodile empaillé, et de l’autre par un caniche d’un aspect malheureux. Des bancs boiteux et une table non moins boiteuse composaient l’ameublement du sanctuaire, éclairé par deux torches de térébenthine, dont le parfum nauséabond se répandait à distance.

A l’entrée du maître du château et de ses hôtes, le devin revêtit son air le plus digne, et, se renfermant dans un majestueux silence, invita du geste les nouveau-venus à prendre place sur les bancs;