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nir de Paris douze cents verres de couleur pour illuminer la pelouse : il y a deux montres au mât de cocagne; enfin on assure que Musard, le grand Musard, dirigera l’orchestre lui-même et en personne. Oh! c’est une fête dont on parlera longtemps, et que je ne sacrifierais pour rien au monde.

— Heureux jeune homme, reprit Cassius, non sans ironie. Eh bien! pour moi, sais-tu ce que je crois? C’est que cela sera mêlé, oh! mêlé, très mêlé.

— Que dites-vous donc là? interrompit Jeanicot avec un accent de surprise indignée, que, malgré tout le respect qu’il portait au lion déchu, son voisin, il ne put parvenir à dissimuler; tout le beau monde des environs s’est donné ce soir rendez-vous au Soupizot, on assure même qu’il est venu exprès des élégans de Paris, et je ne parle pas du baron et de la baronne de Laluzerte, dont vous connaissez les projets mieux que moi-même, continua Jeanicot en scandant ses mots avec affectation.

— Eh!... eh! monsieur Jeanicot, interrompit Cassius en relevant l’index de sa droite vers le nez avec un sourire de sphinx, vous grandissez en malice; pour un rien, vous vous feriez l’écho de commérages scandaleux. C’est là un faible provincial dont il faut vous garder; je vous le dis dans votre propre intérêt, et non pas pour faire le discret, car, pour un homme comme moi, qu’importent les on dit du monde?

Cette admonition sévère profita au voisin du lion picard, qui essaya à peine, pendant le reste du voyage, de rompre le silence.

Le doux crépuscule d’une belle nuit commençait à voiler l’horizon, quand stepper, dog car et voyageurs arrivèrent à l’entrée de la fête qu’annonçaient également deux pots à feu et un gendarme en tricorne et en buffleteries jaunes. A travers une allée tortueuse illuminée en verres de couleur, l’on arrivait à une pelouse où la fête brillait dans tout son éclat.

Cette pelouse se déroulait en plan incliné devant une maison fort simple, bâtie sur le modèle des cottages anglais, et qui ce jour-là portait à ses fenêtres une riche illumination. Le coup d’œil des jardins était plein d’animation et de variété. De la ceinture de haute futaie dont la pelouse était entourée s’élançaient à chaque instant des feux du Bengale qui se jouaient dans le feuillage en mille couleurs fantastiques. Une double rangée de boutiques s’élevait auprès de la maison. Les unes étalaient des trésors de porcelaines, croquignoles et pains d’épice; les autres, musées forains, exhibaient aux promeneurs, dans des cadres de bois noir, les plus belles pages de notre histoire militaire, dessins naïfs dont les burlesques contours commandent cependant l’attention et le respect du villageois, qui