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m’apercevoir que mon procès était gagné. « Vous pouvez partir, monsieur, me dit le lord-maire avec une extrême bienveillance. Je vous souhaite un bon et heureux voyage. » Mon passeport me fut aussitôt remis, et cette fois revêtu de toutes les formalités nécessaires. M. Adam ne s’en attachait pas moins à mes pas. Il m’accompagna jusqu’à mon auberge. Avant de me quitter, il me fit insinuer par un juif qui parlait un peu le français que je ne pouvais me dispenser de lui faire un cadeau, en reconnaissance du soin qu’il avait pris d’effacer auprès du lord-maire la mauvaise impression produite par mes délateurs. Il me restait deux couverts d’argent qui me venaient du partage de notre gamelle ; je les lui offris, et le misérable les accepta avec une humilité honteuse.

Le jour était enfin venu où j’allais quitter l’Angleterre. Je m’embarquai, avec mes deux compagnons sur un brick qui devait nous déposer à Calais. Nous descendîmes la Tamise jusqu’à Gravesend. Nous étions à peine en dehors des bancs, que des Hollandais qui avaient obtenu de passer sur le même bâtiment que nous abusèrent de leur nombre pour contraindre le capitaine du brick à diriger sa route sur Rotterdam et non pas sur Calais. Heureusement notre traversée fut courte. Nous trouvâmes dans le consul de France à Rotterdam un homme fort poli et fort obligeant, qui prit soin de régler nos dépenses à l’auberge et de traiter de notre passage sur les canaux intérieurs jusqu’à Middelbourg, d’où nous nous rendrions par terre à Flessingue. Là nous devions nous embarquer sur la canonnière française la Carpe, qui était chargée de l’escorte des convois jusqu’à Dunkerque.

Arrivé à Flessingue, je m’empressai d’aller rendre visite au contre-amiral hollandais van Stabel. Cet officier général me fit le plus gracieux accueil. Les forces navales de la Hollande étaient alors au service de la France ; le contre-amiral van Stabel m’offrit d’embarquer en qualité de lieutenant de vaisseau sur le bâtiment qu’il montait. Je ne crus pas devoir accepter ses offres, quelque avantageuses qu’elles me parussent. L’amiral comprit facilement qu’après une absence de cinq années, si fécondes en événemens, je devais avoir un vif désir de me rapprocher de ma famille, dont je n’avais aucune nouvelle, et de connaître le sort qui lui avait été réservé.

Notre traversée de Flessingue à Dunkerque n’offrit par bonheur rien de remarquable. Nous escortions une assez grande quantité de navires caboteurs. Notre faible tirant d’eau nous permit de naviguer entre la terre et des bancs qui suffisaient pour nous préserver des attaques de l’ennemi. Nous n’eûmes qu’à nous louer des égards que l’on eut pour nous pendant notre séjour à bord de la Carpe. Toutefois nous n’étions pas, comme on nous l’objecta très judicieusement,