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Toute résistance me paraissant inutile, je me résignai, et M. Adam me traîna à sa suite le reste de la journée. Je fis avec lui une visite à la Tour de Londres, où il déposa trois prisonniers. Ceci commençait à m’inquiéter. Le ton de M. Adam n’avait pas cessé néanmoins d’être caressant, et ses paroles étaient très rassurantes. « Il allait me conduire chez un de ses amis, où l’on me servirait à dîner, où je trouverais, pour passer la nuit, un excellent lit et une chambre très chaude. Le lendemain, dès huit heures du matin, il serait à mes ordres. »

Il m’introduisit en effet dans une maison dont l’obscurité ne me permit pas de bien juger l’apparence. Il dit quelques mots à voix basse à un homme qui s’était avancé à notre rencontre, et, s’effaçant comme par politesse, il me montra du doigt la porte entr’ouverte d’une chambre où je n’hésitai pas à entrer. À peine y eus-je mis le pied, que la porte se referma brusquement sur moi et que j’entendis crier la serrure. Je sautai aussitôt à la fenêtre ; elle était grillée. L’idée que j’étais en prison me fit frissonner. Il me serait impossible de rendre les tristes réflexions auxquelles je fus en proie jusqu’au retour du traître qui venait de me soumettre à une si rude épreuve. Je lui en fis les reproches les plus amers. Il me parla des devoirs de sa charge, et voulut me persuader qu’il s’était compromis en s’écartant pour moi des ordres rigoureux qu’il avait reçus. J’étais alors trop inquiet pour discuter avec lui sur le mérite des faveurs que je devais à ses bons offices. Nous nous rendîmes ensemble chez le lord-maire. Au milieu d’un assez grand nombre de personnes, je retrouvai là l’indigne Anglais et l’Allemand qui, depuis plus d’un mois, m’excitaient à d’imprudentes confidences. Je remarquai aussi le gros monsieur qui était venu à l’auberge réclamer l’exhibition de mon passeport. Ce dernier s’approcha de moi et me dit d’un ton de menace : « Vous vous souviendrez, monsieur, des propos que vous avez tenus. »

Le moment arriva enfin où je fus mandé devant le premier magistrat de la Cité. En même temps que moi furent introduits M. Adam, l’Allemand et l’Anglais, mon antagoniste. Je racontai naïvement mon affaire en français. Je dis que j’étais un des officiers de l’expédition commandée par M. de Bretigny, que depuis près de cinq ans j’étais séparé de ma famille, et qu’il était bien pénible pour moi d’éprouver des persécutions dans un pays où je m’étais flatté de trouver aide et protection. La franchise de mes aveux lorsqu’on me mit en présence de mes accusateurs, la facilité avec laquelle je repoussai leurs basses insinuations parurent intéresser le lord-maire. Lorsque je fis le récit de la scène qui s’était passée à l’auberge, et qui était le principal chef de l’accusation dirigée contre moi, je pus