Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/525

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On lui avait appris que, les Français ayant fait la conquête de la Hollande, la Grande-Bretagne avait expédié dans les mers de l’Inde une escadre pour protéger la flotte de ses anciens alliés, qu’on savait être d’une richesse immense, et l’empêcher de tomber entre les mains de l’ennemi commun. Le capitaine Roch était accompagné d’un officier anglais et de plusieurs matelots, qui, en arrivant à bord, s’emparèrent de la direction de la manœuvre. Escorté d’un bâtiment de la compagnie anglaise, l’Hougly fit immédiatement route pour se rendre au mouillage de Sainte-Hélène.

La division qui venait de nous capturer si facilement ne comptait d’autre navire de guerre que le Sceptre, vaisseau de soixante-quatre canons monté par le commodore William Essington. Tous les autres bâtimens de cette division appartenaient à la compagnie des Indes. Chacun d’eux portait de trente-six à quarante canons. À les juger sur l’apparence, on les eût pris pour des frégates ; mais leur équipage ne dépassait pas deux cents hommes. Le Sceptre lui-même n’avait pas plus de cinq cents matelots. Les Anglais avaient une si parfaite confiance dans les allures routinières de la flotte qui avait quitté False-Bay, qu’ils jugèrent inutile de se tenir en croisière pendant la nuit. Chaque soir ils revenaient au mouillage, ne laissant qu’un bâtiment sous voiles à chaque extrémité de l’île. Cette insouciance eut un résultat qu’ils n’avaient pas prévu. Il y avait à peine dix jours que l’Hougly avait été conduit dans la baie, que les vigies de l’île signalèrent l’apparition d’une quinzaine de bâtimens : c’étaient les retardataires de la flotte hollandaise qui arrivaient. On mit précipitamment sous voiles, et on courut à leur poursuite. Sur ces entrefaites, la nuit survint. Six bâtimens seulement furent atteints. L’obscurité sauva les autres, mais ne les sauva malheureusement que jusqu’à l’entrée de la Manche. Là de nouveaux croiseurs leur donnèrent la chasse, et, après s’en être facilement emparés, les conduisirent dans les ports de l’Angleterre. C’est ainsi que la prévoyance du gouvernement britannique le mit en possession d’une flotte dont la valeur n’était pas estimée à moins de 150 millions de francs.

Nous étions au mouillage depuis quelques jours, lorsque le commodore Essington jugea à propos de faire enlever du vaisseau l’Hougly les collections, les papiers et tous les documens de notre expédition. Cette spoliation était une violation manifeste du droit des gens, sous la protection duquel la délicatesse des nations civilisées a toujours placé les travaux entrepris dans l’intérêt de la science. Malheureusement l’absence de M. de Vernon semblait favoriser l’audacieuse conduite de l’officier anglais. Mon compagnon, qui par son ancienneté se trouvait appelé à remplacer M. de Vernon, hésitait à protester contre l’enlèvement ordonné par le commodore