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le commandant de l’escorte peut-être le premier, pouvait certainement, sans trop d’injustice, être soupçonné d’une secrète connivence avec l’ennemi. Quoi qu’il en fût cette première escadre anglaise arriva trop tard : elle ne put amariner que les bâtimens qui avaient été retardés dans leur appareillage ; mais une autre escadre nous attendait, placée en embuscade sous l’île de Sainte-Hélène, rendez-vous habituel de la flotte hollandaise. Pour nous, sans plus nous soucier de nos compagnons et sans nous douter de ce qui se passait, nous faisions bonne route pour cette île, poussés par une fraîche brise du sud-est, qui nous faisait filer plus de huit nœuds à l’heure. On compte environ cinq cent quarante lieues du cap de Bonne-Espérance à Sainte-Hélène. Au bout de quinze jours de traversée, le commandant de l’Hougly s’étonna de ne pas voir encore la terre. Craignant d’avoir dépassé l’île qu’il voulait reconnaître, il allait changer de route et revenir sur ses pas, lorsque M. de Vénerville et moi, qui avions pris des distances de la lune au soleil, nous lui fîmes part du résultat de nos observations. Nous lui annonçâmes que, si nous courions pendant deux heures encore dans la même direction, nous verrions infailliblement Sainte-Hélène. Le capitaine Roch était un excellent homme et un très bon marin ; mais, habitué à naviguer suivant la vieille routine, il n’avait aucune foi dans les observations astronomiques. Il n’y a pas bien longtemps que nous avions encore dans notre marine des officiers tout aussi incrédules. Ce fut donc par condescendance pour nous, peut-être aussi dans l’espoir de trouver notre science en défaut, que le commandant de l’Hougly consentit à continuer sa route jusqu’au moment où le délai que nous avions fixé serait écoulé. Il ne se cachait pas d’ailleurs pour rire de notre confiance, et à chaque instant questionnait les vigies d’un air narquois. Son triomphe ne fut pas de longue durée : les vigies annoncèrent bientôt qu’elles découvraient la terre droit devant nous. En même temps elles signalèrent un assez grand nombre de bâtimens qui se dirigeaient du côté de l’Hougly. Le capitaine Roch crut que c’étaient ses compagnons, qui, ayant pris les devans, l’attendaient ou venaient à sa rencontre. Sur les quatre heures du soir, on put reconnaître, à n’en pas douter, que ces bâtimens n’avaient jamais fait partie de la flotte hollandaise. Nous étions encore assez au vent pour leur échapper, si nous eussions immédiatement tenu le plus près ; la nuit fût venue à notre secours, et une fausse route eût pu nous sauver. Nous continuâmes à courir grand largue. Le vaisseau le Sceptre vint passer à poupe de l’Hougly, et notre commandant reçut l’ordre de se rendre à bord du vaisseau anglais. Nous étions dans une grande anxiété sur les suites de cette fâcheuse rencontre. Le retour du capitaine Roch confirma toutes nos craintes.