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à travers le corps du premier qui ne ramerait pas vigoureusement. Grâce à ce parti énergique, j’arrivai bientôt le long du vaisseau l’Hougly. Le capitaine me désigna la chambre que je devais occuper. C’était la première en avant, sous la dunette à bâbord. Je ne pouvais désirer un logement plus agréable. Sans sortir de ma chambre, je voyais tout ce qui se passait sur le pont.

Depuis plus de huit jours, nous étions à l’ancre dans False-Bay, sans qu’aucune disposition annonçât qu’on songeait au départ. Le bruit de la conquête de la Hollande par une armée française commençait à se répandre dans la colonie du Cap. Quelques-uns de mes compagnons, ne considérant point la tourmente révolutionnaire comme suffisamment apaisée et craignant qu’on ne leur fît l’application des terribles lois portées contre les émigrés, ne se trouvèrent plus en sûreté sous le pavillon hollandais. Ils renoncèrent à poursuivre leur voyage. Les uns passèrent aux Philippines, où ils entrèrent au service de l’Espagne ; les autres allèrent à la côte de l’Inde chercher fortune. Il ne resta plus sur le convoi que ceux d’entre nous qui avaient la ferme volonté de rentrer à tout risque en Europe et en France. Pendant, ce temps, une corvette anglaise, déguisée sous pavillon américain, vint mouiller au milieu de la flotte. Elle reconnut la force des vaisseaux hollandais, compta leurs canons, s’assura de la composition des équipages, puis elle appareilla et courut rejoindre devant Sainte-Hélène la division anglaise dont elle faisait partie.

Le jour du départ de la flotte fut enfin arrêté. Ce départ eut encore lieu, comme celui de Table-Bay, inopinément. M. de Vernon et un des deux officiers qui l’avaient suivi sur l’Hougly manquèrent le départ de leur vaisseau, et furent obligés de prendre passage sur le brick de guerre chargé de la protection du convoi. À dater de ce moment, je n’eus plus d’autre compagnon et d’autre chef qu’un des lieutenans de vaisseau de la Durance, M. de Vénerville.

Au moment où nous sortions de False-Bay, nous aperçûmes une division de bâtimens de guerre qui, formée en ligne de bataille, donnait dans le golfe : c’était une escadre britannique partie des côtes du Bengale, qui accourait pour s’emparer de la flotte hollandaise. Les rôles étaient changés. L’Angleterre n’avait plus pour alliée la Hollande, elle avait pour ennemie la république batave : excellente nouvelle pour tous ces croiseurs, qui ne rêvaient que parts de prise, et qui savaient quelles merveilleuses cargaisons sortaient chaque année des ports de Java et des Moluques ! Quant aux Hollandais, sentant bien qu’entre leurs anciens et leurs nouveaux alliés ils n’avaient que le choix du larron, ils mettaient peu d’intérêt à sauver des richesses qui ne leur appartenaient déjà plus. Maint capitaine,