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Pesth le règne de l’esprit semble suspendu, on aime à croire que cela tient a des conditions qui ne sauraient durer, et après lesquelles tous les progrès retracés par le spirituel écrivain hongrois reprendront leur cours interrompu.


E. DE SUCKAU.


Mémoires du marquis d’Argenson, ministre des affaires étrangères, édités par M. le marquis d’Argenson. — Les Courriers de la Fronde, car Saint-Julien, édités par M. Moreau[1]


Deux documens curieux, et d’un caractère bien différent, sur la société française du XVIIe et du XVIIIe siècle, s’offrent à nous d’une part avec les Mémoires du marquis d’Argenson, de l’autre avec la gazette rimée du poète bourgeois Saint-Julien,

René-Louis de Voyer, marquis d’Argenson, naquit le 18 octobre 1694 ; son père fut lieutenant-général de police au Châtelet de Paris, puis garde-des-sceaux en 1720. Tandis que son frère cadet était rapidement arrivé au ministère de la guerre, René avait parcouru les divers échelons de la carrière administrative, et n’avait pas été aussi heureux. Après avoir pris part, comme plénipotentiaire, aux travaux du congrès de Cambrai, il fut ensuite désigné pour l’ambassade de Lisbonne, puis remplacé avant son départ et enveloppé, en 1740, dans la disgrâce de son ami M. de Chauvelin. M. d’Argenson occupa ces loisirs forcés, partie à la rédaction de ses volumineux Mémoires, partie à « un métier où il y a prodigieusement à gagner ; car personne ne s’en avise : celui d’être parfaitement honnête homme. Joignait à cela une grande application, ajoute-t-il, qui amène nécessairement quelque intelligence, il est impossible que, de degré en degré, l’on ne soit pas recherché pour les premières places. » M. d’Argenson voyait juste, ou peut-être était-il, par ses espérances, conduit à prophétiser ainsi. Peu après il remplaça aux affaires étrangères M. Amelot, dont le bégaiement agaçait la belle duchesse de Châteauroux. Les deux frères se trouvèrent alors ministres en même temps, et ils payèrent brillamment de leur personne à la bataille de Fontenoy, qui inaugura leur administration, et valut au marquis d’Argenson ce billet de Voltaire : .« Ah ! le bel emploi pour votre historien ! Il y a trois cents ans que les rois de France n’ont rien fait de si glorieux : je suis fou de joie. Bonsoir, monseigneur. »

L’un des principaux événemens diplomatiques qui signalèrent le ministère de M. d’Argenson fut le congrès de Bréda, par lequel on essaya de conclure une paix qu’il fallait cimenter avec ses alliés, comme disait le marquis, avant de la négocier avec ses ennemis. Le gouvernement français avait été alors vivement occupé des prétentions du prince Charles-Édouard, comme aussi des troubles de l’Italie, où un parti rêvait déjà la formation d’une république italienne. Les complications qui surgirent en Espagne amenèrent bientôt la chute de M. d’Argenson, que le roi abandonna complètement après lui avoir accordé la plus entière confiance : il donna sa démission par ordre, le 10 janvier 1747, et fut remplacé par le marquis de Puisieux,

  1. Bibliothèque elzévirienne de P. Janet.